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Lecture Obadia ShalomBouddha

Lionel Obadia
Shalom Bouddha !
Judaïsme et bouddhisme une rencontre inattendue

Paris, Berg International, 2015, 224 p.
ISBN : 978-2370200341
 

Comment les plus anciens enfants d’Abraham, premiers monothéistes de l’histoire de l’Occident, en sont-ils devenus à être de fervents pratiquants du bouddhisme, au point, même, d’en figurer parmi les plus actifs promoteurs en Occident ? Depuis un demi-siècle, les jubous – mi-juifs-mi-bouddhistes – s’efforcent en effet d’inventer une forme hybride de spiritualité, qui mêlerait des « racines juives et des pétales bouddhistes » comme le veut l’expression consacrée Outre-Atlantique.

Sabine Anagnostou
Missionspharmazie.
Konzepte, Praxis, Organisation und wissenschaftliche Ausstrahlung

Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2011, 465 p.

Sabine Anagnostou développe dans cet ouvrage le concept de « pharmacie missionnaire » qu’elle différencie de la « médecine des cloîtres » (Klostermedizin) utilisée pour le contexte historique du Moyen Âge et de la « mission médicale » (Ärztliche Mission), notion liée au début du xixe siècle. La pharmacie missionnaire est – selon l’hypothèse de l’auteur – le prédécesseur historique de la mission médicale de l’époque moderne.

Elle définit la pharmacie missionnaire comme une forme particulière de la pharmacie issue du principe chrétien de la caritas et des situations médicales-pharmaceutiques précaires dans les pays de mission du xvie au xviiie siècle. Cette forme spécifique est essentiellement caractérisée par quatre éléments : des écrits à contenu à la fois missionnaire et pharmaceutique, des remèdes issus des contacts interculturels faciles à fabriquer, l’institutionnalisation des pharmacies des ordres religieux, et – trait particulièrement important – par un transfert international et intensif des savoirs et des médecines qui a durablement influencé et transformé la materiae medicae de plusieurs pays. La pharmacie missionnaire se différencie de la « pharmacie des cloîtres » notamment par sa dimension globale qui n’est plus, comme c’est le cas pour la « médecine des cloîtres », limitée à son contexte local, l’environnement direct du cloître. La pharmacie missionnaire se distingue de la « mission médicale », telle qu’elle est portée au xixe siècle essentiellement par les mouvements protestants, par un personnel qui, la plupart du temps, ne possède pas de formation académique en pharmacie ou médecine ainsi que par une alliance étroite entre des méthodes thérapeutiques européennes et non-occidentales.

Le sujet extrêmement large de « la pharmacie missionnaire du xvie au xviiie siècle » est délimité par l’auteur qui se focalise sur les activités des jésuites. La Compagnie de Jésus fut constitutive, pour la création de ce réseau transnational, du transfert médical qui a donné une dimension globale à la pharmacie missionnaire. L’ordre réformateur des débuts de l’époque moderne, les jésuites, est mis en relief par la comparaison avec les ordres mendiants, constitués depuis le Moyen Âge, comme les dominicains et les franciscains qui possédaient également des pharmacies missionnaires, sans pour autant établir un réseau transnational. L’auteur explique cette particularité jésuite par la forte centralisation de l’ordre, la mobilité des membres et leur dispersion dans le monde entier, leur flexibilité à s’adapter aux conditions locales, notamment à intégrer des thérapies indigènes et aussi par leur spiritualité ignatienne comme fondement philosophique et théologique de leur engagement envers les malades. Si les raisons liées à l’histoire des jésuites et à leur expansion mondiale ainsi que celles liées aux contextes politiques dans lesquels les pharmacies missionnaires se développent sont expliquées de manière convaincante pour comprendre la spécificité jésuite, en revanche l’argumentation qui cherche l’explication de la constitution d’un réseau global d’échange pharmaceutique dans la spiritualité ignatienne est moins éloquente.

À défaut d’études sur lesquelles une analyse pourrait se baser, les ordres féminins et leurs activités dans le domaine médical et pharmaceutique ne sont pas prise en compte dans cet ouvrage, si ce n’est pour constater que les religieuses ne participaient peu à la pharmacie missionnaire entre le xvie et le xviiie siècle.
En revanche, l’analyse de la dynamique jésuite est rapprochée des missions protestantes et de leurs activités pharmaceutiques. Une partie entière est réservée à la mission danoise de Halle (Dänisch-Hallesche Mission) et aux piétistes de Halle (Hallesche Pietisten) qui constituent le point de départ de la mission protestante européenne. Tandis que les piétistes de Halle envoyaient des médecins formés, les jésuites nommaient des missionnaires sans connaissances médicales académiques. La plupart ont acquis ses connaissances en matière de pharmacopée sur le tas. C’est peut-être pour cette raison qu’ils furent plus volontaires, mais aussi plus contraints à adapter les savoirs thérapeutiques locaux que les médecins piétistes formés à la médecine occidentale et convaincus de sa supériorité par rapports aux pratiques indigènes. En ce qui concerne la mission de Halle, le ravitaillement en médicaments se fit essentiellement de Halle vers les pays de mission. Ce monopole fut motivé par des raisons économiques, puisque la vente de médicaments devrait financer les orphelinats au pays. L’administration de la mission de Halle ne fut donc point intéressée à remplacer les médicaments occidentaux par des remèdes locaux et s’attachait à garder le secret sur les recettes pour éviter des imitations. Ce commerce de médicaments de la mission de Halle se distinguait considérablement du transfert de médicaments des jésuites dans les pays de mission catholiques. Envisagé comme un service rendu aux malades, le ravitaillement en médicaments des jésuites s’est organisé peu à peu pour devenir un véritable système de logistique centralisé. En même temps, les échanges s’effectuaient dans les deux sens en intégrant des remèdes locaux dans la pharmacie officielle. Les recherches en pharmacopée des missionnaires jésuites furent encouragées par leur hiérarchie et eurent une importante réception en Europe, où on les discutait dans des cercles savants. La mission de Halle encourageait son personnel à s’investir dans des collectes de plantes ou des recherches botaniques uniquement pour pouvoir éventuellement découvrir des substances utiles pour la fabrication de leurs propres médicaments. En plus, les missionnaires-médecins furent souvent obligés de travailler afin de gagner de l’argent pour les besoins quotidiens de leurs familles et n’avaient peu de temps à consacrer à des recherches. La pharmacie pratiquée par les piétistes dans les pays de mission fut donc basée sur un exercice purement européen, peu adapté aux besoins locaux. En conséquence, Anagnostou ne compte pas le commerce de médicaments du mouvement piétiste de Halle parmi la pharmacie missionnaire. Ceci n’exclut évidemment pas que les deux systèmes de transferts, piétistes et jésuites, ont en commun une motivation spirituelle et religieuse liée au même principe chrétien de la caritas. Celle-ci est pourtant interprétée de manière bien différente : tandis que les jésuites comprennent la caritas comme une expression de l’amour de Dieu envers les hommes et le service aux souffrants comme une louange suprême à Dieu, les piétistes de Halle considèrent la caritas plutôt comme une expression de la charité du croyant et sa participation active à l’érection du royaume de Dieu. Deux visions différentes de la place de l’individu.

Après avoir explicité dans la première partie de l’ouvrage les bases de la pharmacie missionnaire ainsi que l’histoire des différents ordres et leurs charismes particuliers tournés vers les soins des malades, la deuxième partie du livre est consacrée à une analyse très détaillée de cinq compendiums pharmaceutiques. Ces écrits ont été rédigés par des jésuites à destination de leurs confrères pour expliquer des remèdes faciles à fabriquer et à utiliser, accompagnés des réflexions théologiques ou pastorales sur la caritas.

La troisième partie du livre éclaire l’institutionnalisation des pharmacies jésuites, leur internationalisation et la constitution de véritables réseaux pour le transfert de médicaments, de littérature pharmaceutique, d’instruments de travail et d’échanges d’expériences. Dans de nombreux pays de mission, les pharmacies missionnaires jésuites sont devenues des centres de ravitaillement en médicaments occidentaux pour les arrière-pays. Les missions reculées à l’intérieur des pays envoyaient, à leur tour, des plantes médicinales locales aux centres pharmaceutiques jésuites se situant dans les agglomérations urbaines qui furent ainsi intégrées dans la pharmacie officielle. Anagnostou analyse huit pharmacies jésuites dans l’empire colonial espagnol en particulier. Ces réseaux de transfert n’existaient pas seulement au sein des pays de mission, mais aussi entre les pharmacies jésuites du monde entier, entre celles de l’Europe, notamment la pharmacie du Collegio Romano, et les missions d’outre-mer. La première pharmacie jésuite en Europe date de 1566. Celle du Collegio Romano fut, entre le xvie et le xviiie siècle incontestablement le centre d’un réseau dense qui assurait des échanges pharmacologiques, d’études pharmacopée-botaniques et de certains simples qui ont influencé de manière significative la materia medica européenne et internationale. Quelques drogues pharmaceutiques et médecines composées furent diffusées sur des longues distances dans ce contexte missionnaire et illustrent le transfert médical. La thériaque (theriaca) romaine fut diffusée à partir de l’Europe, la thériaque brésilienne à partir de l’Empire colonial portugais, le quinquina - le premier médicament efficace contre le paludisme- à partir de l’Empire colonial espagnol, la fève de Saint-Ignace – dont on isola plus tard le Strychin – à partir de l’Asie du sud-est et le lapis de Goa à partir de l’Inde et l’Extrême Orient.

Anagnostou nous livre avec cet ouvrage une description détaillée et érudite de la pharmacie missionnaire jésuite du xvie au xviiie siècle et de ses connections transnationales. On aurait aimé lire cette étude de cas, consacrée aux jésuites, à la lumière des analyses récentes du transfert des savoirs en contexte colonial, tels qu’ils ont été développés par Rebekka Habermas, Patrick Harries et d’autres. Néanmoins, à la jonction de l’histoire d’ordres religieux anciens et de celle des congrégations catholiques et sociétés missionnaires protestantes du xixe siècle, marquée par une approche interdisciplinaire entre l’histoire de la médecine et de l’Église, l’anthropologie de la mission et l’ethnopharmacologie, ce livre intéressera autant les historiens que les anthropologues.

Katrin Langewiesche

Relinde Meiweis
Von Ostpreussen in die Welt.
Die Geschichte der ermländischen Katharinenschwestern (1772-1914)

Ferdinand Schöningh, Paderborn, 2011, 263 p.

Après son œuvre très remarquée sur des congrégations féminines catholiques en Allemagne au xixe siècle (Arbeiterinnen des Herrn. Katholische Frauenkongregationen im 19. Jhd, 2000, Frankfurt a. Main), Relinde Meiweis, historienne allemande, publie maintenant une monographie stimulante sur une congrégation particulière, les ermländischen Katharinenschwestern.

Les Sœurs de la Sainte Katharina (Schwestern von der heiligen Katharina) – fondées en 1571 à Braunsberg dans le Ermland – faisaient partie des pionnières d’une forme de vie religieuse féminine qui a connu un essor au cours du xixe et dans la première moitié du xxe siècle. Situé au nord-est des frontières de l’Europe, le Ermland constitua un bastion catholique au sein de la Prusse orientale, majoritairement protestante. Le Ermland abrita un mouvement catholique qui résista à la Réformation. Dans ce contexte particulier, la monographie raconte la croissance et l’évolution de cette congrégation de la fin du xviiie siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. L’auteur présente un vaste panorama qui commence sous l’Ancien Régime au dernier quart du xviiie siècle, traverse les temps des changements sociaux et économiques dramatiques du xixe siècle jusqu’au moment de la prospérité économique et des réformes sociales, peu avant la Seconde Guerre mondiale. Cette époque fut, pour l’Église catholique, une période de changements considérables : le siècle des Lumières et la sécularisation limitaient d’abord son rayon d’action, mais les changements sociaux et économiques créèrent ensuite des perspectives nouvelles. Au sein de ces constellations historiques complexes, R. Meiweis dessine la place des Katharinenschwestern en posant la question de la part d’autonomie dont disposaient les religieuses face à l’église et dans la société durant les siècles. Après un chapitre sur la fondatrice, Regina Protmann, et les bases spirituelles et sociales de la congrégation, cinq chapitres chronologiques retracent la trajectoire des Katharinenschwestern.
Dès leurs débuts, les sœurs de la Sainte Katharina voyaient leur place au sein de la paroisse et non pas derrière les murs d’un cloître. Elles soignaient des vieillards et des malades et éduquaient des filles. De la sécularisation du Ermland par le partage de la Pologne-Lituanie en 1772 à la Première Guerre mondiale, la vie professionnelle et la vie religieuse des sœurs changèrent plusieurs fois en fonction des événements historiques. Les religieuses furent obligées de trouver un équilibre entre la vita contemplativa et la vita activa afin de défendre leur place dans le monde et dans l’Église changeante. Dans la première moitié du xixe siècle, une évolution importante eut lieu au sein de la congrégation avec une implication grandissante des sœurs dans l’éducation des filles. Bien que l’Etat investissait dans l’instruction élémentaire des filles, au xixe siècle l’accès des filles à l’enseignement supérieur était très rare en Prusse orientale. Les Katharinenschwestern utilisaient ce manque d’engagement étatique afin de proposer leurs écoles confessionnelles spécialement pour filles. L’utilité sociale de leurs œuvres, reconnue par l’État, ouvre ici, comme souvent pour d’autres congrégations ailleurs dans le monde, un espace d’autonomie aux religieuses.
R. Meiweis montre que, contrairement à des opinions répandues, l’enseignement religieux n’était pas prépondérant dans ces écoles. En 1827, les sœurs enseignaient la religion dans l’école des filles de Braunsberg seulement deux heures par semaine. Le reste du temps était consacré à la lecture, l’écriture, les calculs et l’histoire. Entre 1820 et 1830, la congrégation des Sœurs de la Sainte Katharina posa les bases d’une éducation pour filles, dans les quatre plus grandes villes du Ermland. En même temps, des jeunes femmes eurent la possibilité de se former comme institutrices et de travailler dans cette profession. Soutenu par l’évêque, Joseph von Hohenzollern, et les administrations municipales de l’époque, les sœurs prirent en main l’éducation des filles. Durant les années 1850, la congrégation avait aménagé, dans presque tout le Ermland, des écoles élémentaires et mis en place une formation professionnelle et religieuse pour les jeunes sœurs.

À partir de 1860, après l’élection d’une nouvelle supérieure, la congrégation reprit, parmi ses domaines d’activités, les soins de malades et le travail pastoral, inscrits depuis les débuts dans la constitution. R. Meiweis propose plusieurs pistes pour comprendre ce changement. Peut-être les religieuses cherchaient-elles, à cette époque, un retour au charisme originel de leur congrégation, peut-être aussi la nouvelle supérieure et son conseil anticipaient les difficultés que poserait la concentration sur une seule activité. Toutes les jeunes femmes qui voulaient se consacrer à une vie religieuse et communautaire n’avaient pas forcément une inclinaison pour l’enseignement. En élargissant ses activités, la congrégation ouvrait ses portes à toutes les jeunes femmes et non pas seulement à celles qui avaient une vocation pour l’éducation. Une autre explication de ces transformations des domaines d’intervention des sœurs (de l’enseignement à la santé) est le contexte social. Le choléra laissa, à partir de 1866, beaucoup d’orphelins et de malades à Braunsberg dont les Katharinenschwestern s’occupèrent désormais.

Au début de la période étudiée par R. Meiweis, en 1772, les sœurs travaillaient dans quatre petites communautés ; depuis les années 1830, la congrégation s’agrandissait dans le Ermland, puis vers la fin des années 1870 elle essaima en Finlande, en Russie et en Angleterre. Ce départ vers d’autres régions fut motivé par le Kulturkampf (1871-1887). Les mesures que l’État prussien prit contre l’église catholique, durant les années 1870, transformèrent aussi durablement la congrégation des Sœurs de la Sainte Katharina. L’État interdisait le recrutement et le déplacement des membres et la fondation de nouvelles communautés. La plupart des sœurs institutrices furent obligées de changer d’activité pour se diriger vers les soins de malades. Une activité tolérée par l’État. En 1875, l’interdiction de toute la congrégation fut évitée uniquement par la diplomatie des supérieures et des soutiens étatiques et ecclésiastiques importants. Comme beaucoup d’autres congrégations, les Katharinenschwestern cherchaient à éviter les restrictions auxquelles elles étaient soumises à l’intérieur du pays par le biais de fondations à l’étranger. Les congrégations de la Prusse occidentale se dirigèrent vers la Hollande, la Belgique, la France ou l’outre-mer. Celles de la Prusse orientale optèrent pour Helsinki ou St. Petersburg, comme les Katharinenschwestern. Limitées dans leurs engagements à l’intérieur du pays, les sœurs retrouvèrent à l’extérieur une nouvelle dynamique, qui influença l’ensemble de la congrégation. De la fin du Kulturkampf jusqu’au début de la Première Guerre, le nombre de leurs membres avait presque triplé. En conséquence, il fallait trouver d’autres activités pour ces femmes attirées par la vie religieuse active : les établissements pour les soins des malades et des orphelins, des hospices et des crèches ouvrent à Berlin, en Angleterre et finalement en 1897 au Brésil, où elles s’occupèrent d’abord des migrants européens et plus tard de l’enseignement dans différentes localités brésiliennes. R. Meiweis donne des indications intéressantes sur le financement des activités, les liens entre les communautés en Allemagne et au Brésil ainsi que les rapports entre différentes congrégations féminines et masculines travaillant dans ce pays.

Les Katharinenschwestern se sont développées au fil des siècles, passant d’une communauté religieuse locale à une congrégation transnationale. Celle-ci assurait sa cohésion par des règles communes, des noviciats centralisés qui garantissaient une formation similaire à toutes les jeunes sœurs, une correspondance importante et des voyages de visitation. Aujourd’hui, les Katharinenschwestern vivent en Europe, en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie en suivant le chemin spirituel de leur fondatrice Regina Protmann, béatifiée en 1999. Elles se consacrent toujours à l’éducation, aux soins des malades et au travail social et pastoral.

Dans la conclusion, R. Meiweis discute la thèse de la vie religieuse comme vecteur d’émancipation sociale et économique pour les femmes du xixe siècle, à la lumière de l’histoire particulière des Katharinenschwestern. La « féminisation de la religion » analysée par plusieurs auteurs (Götz von Olenhusen, 1995, Frauen unter dem Patriarchat der Kirchen, Stuttgart; Saurer (ed.), 1995, Die Religion der Geschlechter. Historische Aspekte religiöser Mentalitäten, Wien ; Claude Langlois, 1984, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à la supérieure générale au xixe siècle, Paris ; Barbara Welter, 1976, « The Feminisation of American Religion 1800-1860 » in : M.S. Hartmann et L. Banner (eds.), Clio’s Consciousness Raised. New York: p. 137-157) ainsi que les transformations politiques et les changements rapides de la société peuvent expliquer l’augmentation du nombre de religieuses dans la deuxième moitié du xixe siècle en Europe en général et dans le Ermland en particulier. Au sein de la congrégation des Sœurs de Sainte Katharina, les femmes avaient la possibilité de mener une vie religieuse de prière et d’exercices religieux, de pratiquer une profession et de vivre une vie matériellement sécurisée. Selon R. Meiweis, c’est précisément cette articulation entre spiritualité spécifique, sécurité économique et opportunités professionnelles, entre motivations séculières et religieuses, qui permet d’expliquer la croissance continuelle des Katharinenschwestern jusqu’en 1914.

Avec ce travail R. Meiweis a fourni à la fois une contribution importante pour comprendre l’histoire de l’Église catholique du Ermland, l’histoire sociale de cette partie de la Prusse ainsi que l’histoire des femmes et de la transnationalisation du religieux. Écrit à la demande de la congrégation elle-même, ce livre indique peut-être que les congrégations féminines ouvrent de plus en plus leurs archives aux chercheurs. Cette publication montre également que l’on peut allier la recherche d’une présentation de soi et un travail scientifique rigoureux. L’ouvrage de R. Meiweis est un des rares exemples d’une monographie critique, consacrée à une congrégation féminine dans son contexte local et international tenant compte de l’interaction des facteurs politiques, socio-économiques et religieux.

Katrin Langewiesche

Nancy Tatom Ammerman
Sacred Stories, Spiritual Tribes. Finding Religion in Everyday Life

Oxford, Oxford UP, 2014, 376 p.

C’est à une étude ambitieuse que se livre l’auteur de cet ouvrage en se penchant sur la sacralisation du temps, de l’espace et des gestes dans la vie quotidienne des Américains d’aujourd’hui. Avec les outils de la sociologie et de l’ethnographie, elle a suscité et recueilli des récits personnels de 95 individus, qu’elle analyse ensuite pour retrouver, parmi les mille et un rites insignifiants de la vie familiale, de l’organisation domestique, de la sociabilité du travail ou de la vie publique, les traces d’une religiosité dont elle tente ensuite de définir les grands principes. D’autres sources sont convoquées dans le dossier : photos prises par l’auteur chez des particuliers, journaux personnels etc. La diversité des milieux rencontrés – protestants conservateurs, protestants afro-américains, catholiques, juifs, mormons, wiccans, athées – permet de brosser un tableau complet, nuancé et comparatiste de cette traversée du sacré dans l’ordinaire des jours. La démarche est intéressante, la méthodologie clairement exposée, et l’étude aboutit à la mise en exergue de nombreux points communs dans les pratiques des individus, quelles que soient leur origine sociale et leur affiliation religieuse. La religion vécue (lived religion) articule l’expérience de la transcendance, la reformulation de génération en génération de traditions héritées, la répétition, en marge des prescriptions institutionnelles, de gestes religieux. Cette religion invisible et pourtant essentielle est, suppose l’auteur après deux générations de sociologues, ce qui reste du fait religieux après la sécularisation. L’absence de Dieu dans maints discours retranscrits, où il est pourtant bien question de spiritualité, tend à prouver que la sensibilité religieuse s’est progressivement émancipée des cadres des Églises. Sacré et profane sont étroitement mêlés dans la vie quotidienne des Américains. L’auteur décentre aussi, de manière originale, la question de l’identité religieuse, estimant qu’elle n’explique pas grand-chose dans les récits de vie qu’elle a compilés. Cette étude, par les hypothèses qu’elle présente et la tentative de théorisation du fait religieux contemporain qu’elle expose, montre ce que l’Occident a à apprendre de lui-même par la sociologie de la religion.

Fabienne Henryot

Benjamin Astresses, Stéphanie Douteaud, Carole Gabel (dir.)
La religion dans la rue. Fait religieux et espace public

Perpignan, PUPPA, 2013, 212 p.

Au croisement du droit, de la sociologie et de l’histoire, ce recueil d’actes d’une journée d’études doctorale met en évidence l’articulation (la « collision » selon Olivier Lecucq) problématique de deux conceptions opposées de la religion : d’une part, une démarche personnelle et privée, relevant de la croyance, et d’autre part, la manifestation publique de cette démarche, par le biais du débat et des interactions sociales. La rue est par excellence le territoire que chacun, à titre personnel ou collectif, cherche à s’approprier, aussi bien pour des raisons publicitaires que pour des motifs charitables. Ces appropriations concurrentes mettent en péril la liberté – de conscience, de croyance, de pensée, de culte – mais montrent aussi comment se rééquilibrent perpétuellement les minorités, les groupes clandestins et les groupes dominants. L’ouvrage montre aussi, à grand renfort d’études de cas (celui des protestants espagnols au xviiie puis au xxe siècles, celui des lieux de culte musulmans à Rome et à Strasbourg, des tsiganes, mais aussi des congrégations religieuses en temps d’épidémie au xixe siècle), comment la question de « la religion dans la rue » relève autant des pratiques que des représentations, du ressenti des différents groupes religieux.

Fabienne Henryot

Samuel M. Behloul, Susanne Leuenberger, Andreas Tunger-Zanetti (dir.)
Debating Islam. Negotiating Religion, Europe and the Self

Bielefeld, Transcript Verlag, 2013, 372 p.

L’islam semble cristalliser aujourd’hui toutes les tensions du champ politique, culturel et social. Les auteurs de cet ouvrage collectif, issu d’un colloque qui s’est tenu à Berne en septembre 2011, ont cherché à définir les modalités du débat qui enserre aujourd’hui l’islam et son « étrangeté » dans les sociétés occidentales depuis la fin des années 1980, jusqu’à renforcer ou au contraire modifier en profondeur les discours normatifs produits par les États et les sociétés. La plupart des études de cas ici présentées concernent la Suisse, particulièrement sensibilisée par le débat avec la votation relative aux minarets en 2009. Elles sont élargies à l’ensemble de l’espace européen, c’est-à-dire à une juxtaposition de situations particulières : la laïcité française, le contexte germanique et autrichien, les crispations qu’a connues le Danemark suite à la publication en 2005 de représentations humoristique du Prophète. La question des Européens convertis à l’Islam est également posée avec pertinence, au titre des identités individuelles et collectives qui façonnent la société. Il ressort de ce volume que l’Islam est tout à la fois une réalité (avec des croyances clairement énoncées, des rites et un corpus juridique propres) et une représentation, celle-ci étant particulièrement malmenée depuis que l’islam est assimilé au terrorisme. Les auteurs proposent de – et parviennent à – saisir la place de l’Islam et plus encore celle de son image dans les sociétés européennes. Ils montrent les dangers et les limites d’un pluralisme religieux fondé sur la seule appréciation des représentations.

Fabienne Henryot

François Boespflug
Le Prophète de l’islam en images. Un sujet tabou ?

Montrouge, Bayard, 2013, 185 p.

L’auteur de ce bref essai, fin spécialiste de l’iconographie religieuse chrétienne, se penche ici, en historien des religions, sur le présupposé de l’irreprésentabilité de Mahomet. Il démontre que cet interdit, présenté comme une loi séculaire et définitive, va à l’encontre du droit musulman, de l’histoire de l’islam – des représentations du Prophète sont connues dès le xiiie siècle – et de la théologie musulmane. Il rappelle l’urgence de démystifier cet interdit qui relève de la désinformation et qui pèse lourdement dans l’opinion publique. Et il y parvient brillamment, en explorant le Décalogue, le Coran, la Sunna, la littérature musulmane médiévale, les études d’histoire de l’art des dernières décennies, qui tous montrent que ni de fait, ni de droit, la représentation du Prophète n’est interdite et encore moins non pratiquée par les musulmans eux-mêmes. L’auteur montre que l’interdiction récente résulte en réalité de crispations exacerbées, au sein d’un islam pluriel, au fur et à mesure de la montée de la culture visuelle et de ses vecteurs (photographie, cinéma, télévision). La seconde moitié de l’ouvrage est une galerie de vingt images de Mahomet dans l’enluminure, la peinture murale et l’image de grande diffusion (cartes postales, posters etc.). Il faut se réjouir de cet ouvrage salvateur et pédagogique, qui questionne respectueusement l’islam et lui rend la place qu’il mérite dans l’histoire de l’art, et dans la sociologie de la culture contemporaine.

Fabienne Henryot

Benjamin Gailly
L’influence des religions sur le droit laïc.
L’exemple du statut juridique de l’embryon

Paris, L’Harmattan, 2013, 229 p.

Les progrès spectaculaires de la médecine ne permettent plus aujourd’hui de répondre de manière tranchée sur ce qu’est un embryon, selon son âge, les modalités de sa constitution (naturelle ou artificielle) et l’attente affective à laquelle il répond. Les religions représentées en France ont participé aux débats bioéthiques au moment des votes parlementaires, et l’auteur s’interroge sur l’influence de leurs discours dans un État laïc. Pour ce faire, il a consulté les représentants des quatre religions ou confessions qui siègent au Comité consultatif national d’éthique. Le droit français ne reconnaît pas de personnalité juridique à l’embryon ; le judaïsme et le protestantisme voient en lui une « personne potentielle », tandis que l’islam et le catholicisme lui accordent une nature intrinsèque. L’auteur remarque que les monothéismes se sont organisés efficacement de manière interne, avec des commissions de réflexion sur la bioéthique afin de délivrer un discours univoque, qui est relativement bien écouté au niveau de l’État par le biais d’instances permanentes au niveau du pouvoir législatif français et des institutions européennes. Leur poids dans les débats parlementaires n’est toutefois pas équivalent, du fait des convictions propres des députés, et des relations diplomatiques privilégiées entre l’État et le Vatican. Il reste pourtant difficile de saisir ce qui, dans la rédaction des lois qui encadrent les pratiques médicales concernant l’embryon, relève de l’influence religieuse et ce qui tient de l’humanisme, peut-être imprégné d’une longue tradition chrétienne. Sans donc délivrer de conclusion claire – ce que l’on peut regretter – cet ouvrage a le mérite de faire un point très pédagogique sur une question délicate.

Fabienne Henryot

Marie Gillespie, David E. J. Herbert, Anita Greenhill (éd.)
Social media and religious change

Berlin, De Gruyter, 2013, 232 p.

Les médias sociaux sont plus qu’un segment de la Toile ; ils sont une Toile à part entière, avec ses technologies, ses usages, ses civilités. Cet ouvrage se propose de comprendre comment, pourquoi et avec quels résultats ces outils sont convoqués dans la construction du fait religieux contemporain occidental et des spiritualités. L’exhibitionnisme favorisé par les médias sociaux (photos, vidéos et commentaires personnels, profils réels ou fictifs) permet en effet l’édification de véritables mythologies. On le voit, par exemple, avec les martyres de musulmans radicaux mis en ligne, avec les comportements d’une nouvelle génération de juifs sur Facebook, avec les groupes évangéliques présents sur YouTube, avec la déification de Michael Jackson après son décès. Ces plateformes d’échange ont réduit d’autant le pouvoir des médias tout court, dont elles se sont totalement émancipées.

Mais le changement religieux dans tout cela ? Certes, le fait religieux repose sur les communautés et leurs identités, et l’on voit bien ce que celles-ci peuvent retirer de l’usage massif des médias sociaux. Peut-on pour autant désigner en ceux-ci des « catalyseurs » ? Certes, les médias sociaux, par leur nature, permettent aux religions de se refonder en dehors des discours institutionnels, même si ceux-ci savent bien aussi user de ces médias pour se donner une nouvelle visibilité. Pour autant, à la lecture de l’ouvrage, il semble que ces médias n’ont fait qu’accélérer un processus qui était de toute façon en marche, quel que soit le support qu’il emprunterait. Les médias sociaux n’ont sans doute rien changé, mais ils ont favorisé le changement.

Fabienne Henryot

Peter Opitz (ed.)
The Myth of the Reformation

Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 2013, 382 p.

Cet ouvrage, bilan d’un colloque qui s’est tenu à Zürich en juin 2011, prend le contre-pied de l’historiographie classique sur l’émergence des réformes au xvie siècle, et montre que les figures de Calvin, Luther, Viret et les autres relèvent d’une sorte de mythologie réformée, construite au sein de la Réformation ou en dehors d’elle, chez ses opposants, selon les cas. Les auteurs ont privilégié la provocation dans des titres éloquents : « la réformation, un événement germanique » (E. Campi) ; « Un Luther apocalyptique » (R. L. Petersen) ; « Calvin, amoureux de l’ordre » (J. Balserak) etc. Le biais est intéressant, en ce qu’il permet de saisir ce qui, dans la multiplicité des réformes religieuses qui affectent l’Europe occidentale et centrale au xvie siècle, dans leur enracinement spatial et sociologique, relève de l’invention, immédiate ou a posteriori.

Les acteurs de cette invention sont désignés au fil des contributions de cet ouvrage : la théologie et l’exégèse d’Heinrich Bullinger contient en elle-même les éléments d’une représentation idéale du pasteur réformé, par exemple. Les biographies, l’iconographie ont dès le xvie siècle alimenté la fabrique d’une image de la réformation, qui la situait dans l’histoire et l’espace chrétiens comme un mouvement salvateur.
Le point de vue est un peu réducteur mais il est très stimulant. Il montre tout le bénéfice que l’historien du christianisme et, au-delà, l’historien des religions peuvent retirer d’une histoire des représentations autoproduites ou imposées de l’extérieur, qui constituent véritablement un second moment fondateur, après la réforme elle-même. La création d’un mythe des origines et le culte d’un fondateur reste essentiel dans le protestantisme. On en pourra dire autant du catholicisme au premier âge moderne, et plus généralement, de toutes les mouvances religieuses traditionnelles ou émergentes. On regrettera seulement que les auteurs de l’ouvrage ne se soient pas donné la peine de l’introduire convenablement, pour mettre en perspective les dix-neuf contributions qu’il contient.

Fabienne Henryot

Anton M. Pazos (dir.)
Pilgrims and Pilgrimages as Peacemakers in Christianity, Judaism and Islam

Farnham, Ashgate, 2013, 279 p.

Ce recueil collectif entend articuler le fait pèlerin dans toutes ses dimensions – dévotionnelle, topographique, identitaire – et les processus de paix, au carrefour de l’histoire et de l’anthropologie. Les trois monothéismes sont convoqués dans cette intéressante problématique : christianisme, judaïsme, islam. L’ampleur du sujet, celle de l’aire géographique embrassée (Europe, Asie, Afrique), celle de la période chronologique considérée (du Moyen Âge au xxie siècle) ont décidé les auteurs à préférer pour moitié les synthèses, choix judicieux, éclairées ensuite par des études de cas. À rebours d’une conception conquérante du voyage religieux (la croisade), les auteurs suggèrent que le pèlerinage, en favorisant la découverte des cultures, de l’altérité, réduit toute tentation de nationalisme et de localisme et s’inscrit dans les différents modes du « vivre ensemble » ou de la « coexistence religieuse » chère aux historiens de la modernité. Le pèlerinage est en effet l’occasion d’une déshabituation pour celui qui l’entreprend, un renoncement au confort matériel et psychologique. Il pose aussi d’une autre manière le sens du communautarisme : le pèlerin quitte un groupe (classe sociale, corporation professionnelle, groupement religieux) pour en rejoindre un autre, celui des pèlerins, mais composite et hétérogène. Cela est particulièrement vrai pour les chrétiens – et parmi eux, principalement les catholiques. Et moins pour les juifs, chez qui le pèlerinage est aussi l’occasion de réactivation de la mémoire collective, qu’elle se situe à Jérusalem ou sur les lieux de l’holocauste. Les études de cas montrent le rôle de la démarche pèlerine dans la construction de la paix sociale, de la diplomatie entre États et de la paix entre communautés ethniques et confessionnelles. On le voit, l’entrecroisement de ces deux sujets est épineux mais prometteur ; nul doute qu’il produira à l’avenir d’autres travaux et d’autres débats.

Fabienne Henryot

Peter Wick et Volker Rabens (éd.)
Religions and Trade. Religious formation, Transformation and Cross-Cultural Exchange between East and West

Leiden, Brill, 2014, 373 p.

Ce recueil de contributions en histoire des religions pose avec pertinence la question de savoir comment les mécanismes du commerce, ses acteurs, ses lieux et ses doctrines ont pu favoriser les contacts entre traditions religieuses différentes, notamment entre les civilisations orientales et occidentales, comment se sont opérés des emprunts, des syncrétismes, voire des détournements d’une religion à une autre. Par exemple, G. T. Halkias s’intéresse aux transferts culturels entre le monde hellénistique et l’Asie centrale après les guerres d’Alexandre. Il montre que les échanges ont été asymétriques (ils le sont, dans tous les cas) au même titre que les échanges économiques, mais qu’ils ont contribué à former un bouddhisme hellénistique, sans conflit ni violence, seulement par l’existence de zones de contacts traversées par des routes, des caravanes et des marchands, et ponctuées de marchés et de places commerciales. Les données économiques façonnent ainsi l’espace religieux, comme le montre aussi le cas du bouddhisme du nord du Pakistan. Le religieux se prête aussi à l’échange commercial, ainsi que le présente J. G. Westenholz avec la déesse Nanaya, dont les représentations et les symboles circulent grâce aux marchands dans tout l’orient durant plus d’un millénaire, via des objets de plus en plus demandés avec la popularisation de ce culte dans l’espace sogdien. Le commerce a aussi favorisé la circulation des savoirs religieux et les amalgames de textes religieux et des rites qu’ils prescrivent, comme l’observe G. Herman à propos de la fête de l’Hanoucca dans le talmud babylonien et dans les pratiques des zoroastriens.

Ces passionnantes études de cas masquent deux difficultés. D’abord, il n’est guère question de la manière dont les religions anciennes façonnent une éthique des échanges marchands, hormis, de manière allusive, dans la dernière partie de l’ouvrage. D’autre part, l’universalité de la question des syncrétismes et des dynamiques qui traversent les religions ne semble pas prise en compte. Dans le temps et l’espace, bien au-delà de l’Antiquité, l’un et l’autre ont transformé localement les manières de croire et de se comporter par l’assimilation des pratiques religieuses d’autrui.

Fabienne Henryot

Bernard Barbiche, Christian Sorrel (dir.)
La France et le Concile Vatican II

Bruxelles, PIE Peter Lang, 2013.

Les colloques ont cela de précieux durant les commémorations qu’ils permettent de fixer les sujets d’intérêt dans la durée. Ainsi en est-il de cet ouvrage, traduction d’une riche et dense journée d’études contemporaine du 50e anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II. Les actes, promptement réunis par les deux maîtres d’œuvre, Bernard Barbiche et Christian Sorrel, permettent d’établir un solide état des lieux de la recherche française sur Vatican II mais prouvent également la vitalité d’une historiographie qui n’a pas dit son dernier mot. Deux axes essentiels apparaissent dans cet ouvrage. D’une part la priorité donnée à l’Archive (ce qui explique l’implication institutionnelle du Ministère des Affaires étrangères, du Centre national des Archives de l’Église de France et la collaboration des Archives nationales). Cela permet surtout d’esquisser de réelles perspectives de recherche dans les fonds publics comme ecclésiaux, ce qui n’est pas rien au vu de l’héritage de la recherche conciliaire. Deuxième axe, clairement voulu dans l’orientation de ce colloque : la priorité donnée aux acteurs du Concile. L’histoire conciliaire se fait ici à hauteur d’hommes dans une galerie finement pesée de portraits qui recherche la synthèse. On pourrait faire l’analogie avec l’ouvrage du chercheur belge, Jan Grooters : Actes et acteurs à Vatican II (1998). Cette orientation est bien sûr notable dans le souci d’incarner la théologie conciliaire à travers les deux grandes figures d’experts de Congar (Éric Mahieu) ou de Lubac (Loïc Figoureux).

Ce parallélisme biographique peut même être poussé avec deux figures pourtant bien différentes – Tisserant (Étienne Fouilloux) et Garrone (Christian Sorrel) – mais dont on n’oublie pas qu’ils ont été tous deux cardinaux de curie. On pourrait d’ailleurs espérer qu’un jour (quand les archives le permettront…) que Christian Sorrel s’empare de ce sujet comme Étienne Fouilloux l’a fait pour le cardinal originaire de Lorraine. De duo il est encore question avec l’évocation des ambassadeurs – Guy de la Tournelle, René Brouillet – dont Jean-Dominique Durand se saisit surtout pour fixer la mission de l’ambassade de France près le Saint-Siège. Son rôle majeur dans la sociabilité romaine avant, pendant et après le concile est éclairé par des Archives qui s’ouvrent encore. La liste des acteurs s’allonge avec les chroniqueurs. La communication d’Yves Poncelet rappelle la nécessaire attention à porter aux journalistes (Henri Fesquet, le P. Wenger) qui ont été les plumes du concile. Leurs articles ont servi l’histoire de Vatican II. Les acteurs, encore une fois, doivent être mieux connus. Cette veine biographique n’a pas besoin d’être défendue lorsqu’on évoque la figure de Jean Guitton, l’ami de Paul VI, croqué ici par Philippe Chenaux. Enfin deux communications, celle de Philippe Levillain sur les prodromes de Vatican II et celle de Michel Fourcade sur les riches lendemains du Concile dans le « débat théologico-politique français », encadrent le colloque.

Au total cette journée d’études, qui bénéficie d’une édition soignée (iconographie et index), fait œuvre de synthèse et ouvre dignement « la commémoration historiographique » des années 2012-2015.

Frédéric Le Moigne

Frédéric Amsler et Sarah Scholl (dir.)
L’apprentissage du pluralisme religieux. Le cas genevois au XIXe siècle

Genève, Labor et Fides, 2013, 283 p.

Genève, cité de Calvin. Le stéréotype a la vie dure ! C’est aussi aujourd’hui une ville cosmopolite et frontalière où les catholiques sont majoritaires. Dans cet écart réside la pertinence du sujet choisi par les auteurs de ce livre, qui explorent, à travers 14 articles, la manière dont les Genevois ont pensé l’appartenance religieuse et la nécessité du « vivre ensemble » au cours du xixe siècle. Les dynamiques démographiques, la politique religieuse qui résulte de la Constitution genevoise (1842 puis 1847) donnent d’abord la mesure du problème du pluralisme religieux dans cette ville. Une série d’article analyse ensuite les formes et les lieux du vivre ensemble : l’école, l’historiographie, la pastorale, l’œcuménisme. La gestion des conflits montre enfin comment le pluralisme est effectivement une construction progressive et un apprentissage pour les populations, sommées de trouver divers arrangements pour que les questions confessionnelles ne mettent pas à mal la communauté politique.

Fabienne Henryot

James L. Cox
Critical Reflections on indigenous religions

Farnham, Ashgate, 2013, 202 p.

L’étude des religions indigènes, particulièrement sud-américaines et africaines, mais aussi australiennes, intéresse de plus en plus la communauté universitaire, à l’heure où la mondialisation et les flux migratoires mettent en péril l’intégrité rituelle et le corps des croyances de ces religions. Cet ouvrage collectif se propose, à travers six études de cas et cinq articles méthodologiques, de définir de manière critique les « religions indigènes » comme objet étude et de saisir les implications de cet objet dans les différents champs de la recherche (sociologie, sciences des religions, histoire, ethnologie, anthropologie etc.). Un passage par l’histoire (les religions scandinaves anciennes, le druidisme, les définitions des « religions indigènes » héritées de l’historiographie ancienne) permet de préciser le propos. Les effets de la colonisation puis de la décolonisation sont également étudiés. Au total, l’ouvrage est une contribution importante à cet objet. Signalons également la parution récente d’un autre livre sur le même sujet : Helena Onnudottir, Adam Possamai et Bryan S. Turner (dir.), Religious change and indigenous peoples: the making of religious identities, Farnham, Ashgate, 2013, 149 p.

Fabienne Henryot

Jonathan M. Bloom
The Minaret, Edinburgh Studies in Islamic Art

Edinburgh University Press, 2013, 392 p.

Alors que la majorité des publications universitaires sur l’islam sont marquées soit par un « occidentalocentrisme » qui mesure la place de cette religion selon celle que la tradition judéo-chrétienne veut bien lui laisser dans nos sociétés, soit par une forte intention apologétique, voici un livre qui examine la question des minarets « de l’intérieur ». L’histoire de cette architecture si polémique en Europe est brossée à grands traits, des éléments de justification sont avancés à partir d’une solide étude des textes et des traditions sacrées musulmanes, enfin une comparaison des pratiques de construction est menée à la fois dans le temps (du Moyen Age à nos jours) et dans l’espace (Maghreb, Moyen Orient). L’ouvrage est assorti d’une intéressante iconographie.

Fabienne Henryot

Françoise Douaire-Marsaudon et Gabriele Weichart (sous la dir.)
Les dynamiques religieuses dans le Pacifique : formes et figures contemporaines de la spiritualité océanienne
(Religious dynamics in the Pacific: contemporary forms and key figures of Oceanian spirituality)

Pacific-Credo publications, 2011, 266 p.

Les onze anthropologues qui ont participé à cette publication s’interrogent sur l’« extrême diversité, à la fois des formes d’imposition et d’appropriation du christianisme et des modes de mutation religieuse autochtone ». La question posée est la suivant : existe-t-il un modèle d’analyse qui permettrait de comprendre l’ensemble des transformations induites par ces phénomènes ?

Les contributions de l’ouvrage qui couvrent un espace géographique assez large comme la Mélanésie (Nouvelle-Guinée), les archipels polynésiens de Samoa et Tonga, et l’Indonésie orientale, s’insèrent dans une démarche qui renouvelle les méthodes d’analyse de la christianisation des populations océaniennes. L’un des points principal, fruit du choix épistémologique de ces anthropologues, est le recours à l’histoire, c’est-à-dire, à l’intégration dans la démarche anthropologique des temporalités historiques. Anthropologie et histoire se mobilisent en analyses fines pour saisir les formes d’appropriation du christianisme. Comme il n’est pas possible d’épuiser la richesse des contributions, nous voudrions attirer l’attention sur trois points : le rapport au passé, les formes d’appropriation du christianisme et les formes de rejets.

Le va-et-vient entre présent et passé est essentiel dans la démarche de Françoise Douaire-Marsaudon. Elle montre qu’à Tonga, les chefs se sont approprié le christianisme afin de mieux légitimer leur pouvoir. En revanche, elle s’interroge sur « l’imbrication de la religion et des Églises chrétiennes dans la vie politique locale. De ce point de vue, on pourrait dire qu’il existe une continuité forte avec le passé de ces sociétés, dans la mesure où le politique et le religieux n’y ont sans doute jamais constitué des sphères séparées au sein de la vie sociale », même si ces rapports ont pris des formes différentes au cours du temps. Or quel type de rapports entretiennent les Tongiens avec leur passé alors qu’ils « revendiquent aujourd’hui le christianisme comme une source fondatrice de leur histoire » ? Denis Monnerie s’intéresse lui aussi au christianisme dans ses rapports au passé et à la mémoire dans une région (Hoot ma Whaap) de Nouvelle-Calédonie située au Nord de la Grande Terre, christianisée au xixe siècle. Il cherche à comprendre comment s’est implanté le catholicisme à travers l’observation et l’analyse des cérémonies qui se sont tenues plus d’un siècle plus tard. Il s’interroge sur la manière dont les Kanak, depuis les débuts, ont tenté de contrôler les prêtres et les pratiques religieuses. Sur l’île de Tana, au Vanuatu, un certain John Frum s'était fait passer pour un dieu et est devenu rapidement un « prophète » aux yeux de nombreux habitants. Marc Tabani explore la continuité de ce culte millénariste dans l’île aujourd’hui, et afin de comprendre toute l’originalité du culte de John Frum, il « accorde une attention toute particulière à la question du temps et de l’indigénisation des représentations millénaristes. »

Ces relations au passé révèlent l’importance de la place prise par le christianisme sous toutes ses formes. La manière dont certaines populations ont voulu contrôler la nouvelle religion s’inscrit dans les diverses formes d’appropriation du christianisme. Ainsi, Richard Eves montre que chez les Lelet de Nouvelle-Irlande, la magie a survécu et existe au sein de la structure du christianisme dans lequel elle s’ajuste très bien. Au sein des sociétés comme Samoa et Tonga, Andrew Robson écrit qu’après 1830, la conversion au christianisme fut une affaire délibérée, pragmatique et personnelle. Il montre que l’éducation scolaire, des considérations matérielles ainsi que la conviction religieuse jouèrent un rôle dans la décision d’adopter la religion nouvelle. Enfin, les Samoans se sont engagés dans un processus d’intégration du christianisme au sein de leurs propres traditions culturelles, le dépouillant de son caractère occidental et de religion étrangère. Chez les Asmat de Papouasie occidentale, les Pères Crosiers (catholiques) et les membres de The Evangelical Alliance Mission (T.e.a.m protestants) ont été les principaux responsables des tentatives d’évangélisation. Astrid de Hontheim montre comment les Asmat composent avec la maladie et l’infortune. Elle évalue 1’implication des missionnaires au plan médical ainsi que la façon dont cette implication joue sur la confiance que leur accordent les Asmat.
Reste les formes de refus de la nouvelle religion. Pascale Bonnemère s’est plongée dans la christianisation par l’Église luthérienne, depuis 1972, des Ankave de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Aucun des pasteurs n’a duré plus de deux années. Dans les années 1990, l’un d’eux a fini par être chassé, tellement il s’était montré méprisant de la culture locale et des hommes qui la défendaient. « Comme le montre M. Jeudy-Ballini, ce sont d’ailleurs les interdits plutôt qu’un système particulier de croyances religieuses qui, chez les Sulka, caractérisent les Adventistes du Septième jour (Sda) par opposition aux catholiques « qui n’ont rien changé de leur mode de vie ». Il est aujourd’hui impossible de savoir ce qu’il adviendra chez les Ankave, mais il est probable qu’une Église qui n’impose pas à ses membres de renoncer à certains des plaisirs de la vie d’antan a plus de chances de s’implanter durablement qu’une autre qui bannit le tabac et la chique de bétel, quand ce n’est pas la viande de porc. »

La contribution de Gabriele Weichart sur la société de Minahasa, au nord-est de Sulawesi, en Indonésie amorce un début de méthode comparatiste dans ce domaine de la christianisation et de ses dynamismes. L’auteur nous apprend que « l’histoire de sa christianisation, les réactions des indigènes, leur mode d’adoption et d’ajustement du christianisme à leur culture, montrent de nombreuses similarités avec les exemples issus des îles du Pacifique. »

Nous laissons l’anthropologue Françoise Douaire-Marsaudon conclure sur les apports essentiels de cet ouvrage : « Comme le montre l’ensemble des contributions au présent ouvrage, l’anthropologie religieuse des sociétés du Pacifique apparaît aujourd’hui considérablement transformée et enrichie, grâce en particulier à un retour réflexif et critique sur son propre champ de recherche, susceptible de donner sens à une moisson considérable de données nouvelles. L’un des choix épistémologiques issus de cette réflexion a été, dans les années 1990, de reconsidérer la dimension historique des phénomènes impliqués dans les dynamiques religieuses, un choix auquel souscrivent la plupart des auteurs de cet ouvrage. Celui-ci témoigne aussi d’une idée émergente des recherches en cours, qui consiste à prendre aussi en compte la subjectivité de l’expérience religieuse dans toute sa diversité, dans ses manifestations les plus spectaculaires comme dans ses aspects les plus secrets ou les plus cachés. »

Yannick Essertel

Jane Garnett, Alana Harris (dir.)
Rescripting Religion in the City. Migration and Religious Identity in the Modern Metropolis

Farnham, Ashgate, 2013, 224 p.

Cet ouvrage collectif entend, d’une manière bien anglo-saxonne, étudier les marges et les frontières. Celles d’abord, des cultures et des nations, à travers le phénomène de l’immigration et les conséquences de celle-ci dans les pratiques et les identités religieuses. Celles, ensuite, des disciplines universitaires, en réfléchissant aux sens variés que revêtent certains concepts selon que l’histoire, l’anthropologie, la théologie s’en emparent. C’est notamment le cas des notions de « foi », « migration », « ethnicité » et « identité », au travers de prismes aussi ambitieux et multiples que le genre, la génération, l’identité – autant de points d’observation qui posent problème, même si cet ouvrage les évacue un peu rapidement. Il en résulte une série d’analyses, ancrées principalement dans la ville de Londres et occasionnellement dans d’autres lieux (Jérusalem, Paris, la Pologne, les États-Unis, l’Australie), qui examinent l’ancrage spatial du religieux en ville d’après plusieurs indicateurs, sonores, corporels, sensoriels. La combinaison de ces éléments en contexte de confrontation culturelle et religieuse conduit à réinventer la ville, l’articulation fonctionnelle et symbolique des espaces.

Fabienne Henryot

Sarah Harvey, Suzanne Newcombe (dir.)
Prophecy in the New Millenium. When Prophecy Persist

Farnham, Ashgate, 2013, 295 p.

Prophétie, prédiction, divination, vision sont des phénomènes laïcs aussi bien que spirituels, et surgissent sans cesse dans notre paysage. Ils s’associent à des éléments traditionnels (météorologiques, par exemple), ou plus récents (communications spatiales, catastrophe informatique mondiale). Ils s’accordent à rappeler l’imminence de l’apocalypse. Cet ouvrage étudie les circonstances de la naissance des prophéties contemporaines et leur réception. Après un détour obligé par la définition des concepts, leur histoire et leurs limites, divers articles explorent l’émergence de la prophétie au sein des grandes « religions » – islam, hindouisme, protestantisme, bouddhisme tibétain. Des études de cas, à partir de faits immédiats (2012), montrent ensuite les points invariants du phénomène et ses multiples déclinaisons dans l’univers mormon, les mouvements New Age, les virus informatiques etc. Il en ressort un tableau malgré tout impressionniste du millénarisme contemporain, même si l’ambition de saisir le phénomène dans sa globalité est atteinte.

Fabienne Henryot

Mikko Heimola
From Deprived to Revived. Religious Revivals as Adaptative Systems

Berlin-Boston, De Gruyter, 2013, 197 p.

Cet essai est la version éditée d’une thèse de doctorat soutenue à l’université d’Helsinki en 2010. L’auteur s’interroge sur les liens entre le fait religieux et la cohésion sociale et entend prouver que les variations des conditions socio-économiques rendent nécessaire la renaissance des comportements rituels pour rendre confiance au corps social dans son entier et à chaque individu en particulier. La thèse n’est pas tellement neuve. Les historiens, notamment en croisant anthropologie et histoire, ont mis en évidence la nécessité du sacré, cette composante majeure du « mental collectif » selon l’expression d’Alphonse Dupront, dans les sociétés anciennes lors des mutations religieuses, économiques et sociales. Les cloisonnements disciplinaires et linguistiques ne favorisent pas, on le voit, la circulation des savoirs dans le monde académique. Il reste pourtant à cet ouvrage, qui observe la psychologie sociale et la place de l’irrationnel dans les comportements collectifs, de présenter une intéressante étude de cas dans la Finlande du début du xixe siècle, au moment où se rallume le conflit entre la Suède et la Russie. En cette période agitée, dans un espace principalement rural, tandis que le clergé voit son image ternir, trois revivals ont lieu en trois décennies, entretenus par des chefs religieux charismatiques qui utilisent le registre de l’émotion pour recréer une cohésion sociale autour de nouvelles normes.

Fabienne Henryot

Claire Reggio
Repentances catholiques. L’Église face à l’histoire (1990-2010)

Rennes, PUR, 2013.

Médiatisées, hautement symboliques, les demandes de pardon de l’Église catholique ont frappé l’opinion depuis une trentaine d’années, à rebours d’une image arrogante de l’institution. L’Évangile offre un miroir sans complaisance aux actes et responsabilités du clergé dans les guerres, dictatures, génocides et autres maux anciens ou contemporains. Qu’on admire cette humilité nouvelle ou qu’on s’agace de ses anachronismes, cette pratique de l’auto-dénonciation est intéressante en tant que telle : elle se fonde sur une théologie du péché collectif. L’auteur montre comment cette théologie, promue par Jean-Paul II, s’enracine dans la culture de l’Europe de l’Est et a connu son succès à la faveur des jubilés du dernier quart du xxe siècle, notamment celui de l’an 2000. Les modalités de la pénitence catholique montrent comment l’examen de conscience collectif prescrit par le pape a dû mobiliser toutes les Églises locales, par le biais des évêques. Parmi les principaux motifs de pénitence, l’auteur examine alors l’éthique nouvelle de l’Église par rapport aux mafias, à la dictature de Pinochet au Chili, à la Shoah, à l’impérialisme japonais, au génocide rwandais, à la guerre civile irlandaise. Il s’agit finalement de reconstituer la communion des fidèles et la communion des saints – l’existence d’un corps catholique solidaire dans l’espace et dans le temps. On peut aussi s’interroger, ce qui n’apparaît qu’incidemment dans l’ouvrage, sur la fonction communicationnelle de ces repentances, qui participent des mutations de l’image de l’Église catholique depuis quelques décennies.

Fabienne Henryot

Béatrice de Varine
Juifs et chrétiens. Repères pour dix-neuf siècles d’histoire

Paris, Desclée de Brouwer, 2013, 711 p.

Cette volumineuse synthèse offre un panorama bien commode des relations entre juifs et chrétiens avant Vatican II et l’injonction du Saint-Siège de refouler le traditionnel antisémitisme encore actif chez nombre de catholiques. L’ouvrage éclaire d’un jour nouveau les tensions entre les deux religions, en abordant d’abord l’état du judaïsme au moment de la naissance du Christ et la rupture que constitue le discours chrétien dans cet contexte, puis la diaspora et les aléas de la condition juive en Europe au Moyen Age et aux temps modernes. Si cette somme ne renouvelle guère notre connaissance du sujet (on pourra consulter, par exemple, l’ouvrage d’Olivier Rota, Essai sur le philosémitisme entre le premier et le second Concile de Vatican : un parcours dans la modernité chrétienne, Arras, APU, 2012), elle a le mérite de la clarté et de la nuance.

Fabienne Henryot

Yvan Lamonde
L’heure de vérité. La laïcité québécoise à l’épreuve de l’histoire

Montréal, Del Busso, 2010, 199 p.

Yvan Lamonde est l’auteur d’une Histoire sociale des idées au Québec en trois tomes qui fait autorité. Ce professeur émérite de l’Université McGill revient ici sur l’histoire longue et sur celle de la période plus récente d’un débat qui a longtemps été étouffé par l’hégémonie du clergé catholique. S’il y a une vérité dans ce livre, c’est celle d’un face à face inévitable. Le long débat sur la laïcité a habitué l’opinion contemporaine aux chartes de droits, aux causes juridiques exemplaires et aux grands principes. Dans ce livre le professeur Lamonde vise plutôt à prendre la mesure de ce qu’ont été historiquement les enjeux de ce débat au Québec. Après deux siècles et demi d’hésitations, de tergiversations et de combats, l’heure est venue, dit-il, de faire des distinctions et des choix. S’écartant de sa réserve habituelle, il affirme en conclusion : « un humanisme laïc exige la liberté de pouvoir trouver son fondement, son sens hors du religieux, tout comme un humanisme religieux trouve le sien dans quelque transcendance ».

Par Louis Rousseau

Robert Mager et Serge Cantin (dir.)
Modernité et religion au Québec. Où en sommes-nous ?

Québec, Pul, 2010, 416 p.

Au cours des années 1960, le Québec serait « sorti de la religion » pour entrer dans un processus de modernisation avancée. Du moins est-ce ainsi que cette période charnière de l’histoire québécoise a longtemps été racontée et célébrée dans le récit national. Mais en opposant aussi nettement religion et modernité, ce récit canonique n’a-t-il pas eu tendance à simplifier l’histoire et à négliger l’évolution religieuse du Québec contemporain ? Ce volume porte un autre regard sur ces développements. Des intellectuels de plusieurs horizons (philosophie, sociologie, théologie, histoire, droit et littérature) réexaminent d’abord le parcours des dernières décennies, notamment la Révolution tranquille et les relations complexes qu’elle a entretenues avec le catholicisme. Ils abordent ensuite plusieurs questions actuelles : le pluralisme religieux, les manifestations religieuses dans la culture, la référence à la laïcité, l’enseignement de la religion. Ils proposent enfin une réflexion fondamentale sur les rapports entre la modernité et la religion dans un Québec qui représente une vitrine exceptionnelles pour observer les transformations que subissent un grand nombre de sociétés à l’heure de la mondialisation.

Par Louis Rousseau

Géraldine Mossière
Converties à l’islam. Parcours de femmes en France et au Québec

Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2013, 312 p.

La conversion de femmes occidentales à l’islam est un phénomène intrigant, même s’il reste relativement marginal. Le peu que nous en connaissons est déformé par les préjugés et l’incompréhension. Mais qu’en est-il en réalité ? L’anthropologue Géraldine Mossière, qui s’intéresse aux comportements religieux actuels et à ce qu’ils révèlent des sociétés modernes, a tenté de percer le mystère de 38 Québécoises et de 47 Françaises converties qui se sont confiées à elle au cours d’une enquête passionnante qui a duré quelques années. Comme elle l’écrit : « la conversion religieuse ne signifie pas tant l’adhésion à un ensemble de règles et de croyances fixes, que l’appropriation d’une ressource flexible qui peut être ajustée selon les circonstances et les intentions du sujet. » Elle montre que ce processus conduit à l’émergence d’un sujet musulman féministe dont les converties constituent l’archétype. En comparant le phénomène en France et au Québec, l’étude suggère également que le geste de conversion constitue une critique portée à l’égard des modes de fonctionnement des deux sociétés. Dans cet ouvrage, l’auteure invite le lecteur à découvrir les trajectoires personnelles et singulières de femmes converties à l’islam, mais aussi à mieux comprendre la démarche de l’ethnographe dans cet univers exclusivement féminin ».

Par Louis Rousseau

Jacques Palard
Dieu a changé au Québec.
Regards sur le catholicisme à l’épreuve du politique

Québec, Pul, 2010, 256 p.

Au terme d’une quarantaine d’années de séjours, d’enquêtes, d’enseignement et d’amitiés, Jacques Palard, certainement un des spécialistes Français les plus avertis de l’évolution de la société québécoise, donne à voir son parcours d’analyste qui parle de la transformation des institutions québécoises, tout autant que celles de son regard aiguisé de politicologue. Tout regard vers le passé, même proche, se prête à une réinterprétation des faits et des courants d’idées qui répond à la prégnance des enjeux actuels. Comment se prémunir alors des anachronismes ? Par une remise en contexte et une restauration des étapes successives d’un processus historique aux configurations changeantes. C’est un tel parcours qui est proposé dans cet ouvrage, consacré à la transformation des relations – des échanges croisés ? – entre l’Église catholique et le système politique québécois au cours des dernières décennies. Le chercheur bordelais, membre du Cnrs, donne à voir ce qu’un observateur étranger a été en mesure de saisir des moments importants du repli de l’institution catholique. Une attention particulière est portée à la déconfessionnalisation du système éducatif, désormais portée à son terme. Ces textes éclairent le chemin parcouru et retrouvent ici une nouvelle actualité.

Par Louis Rousseau

Martin Pâquet, Matteo Sanfilippo, Jean-Philippe Warren
Le Saint-Siège, le Québec et l’Amérique française.
Les archives vaticanes, pistes et défis

Québec, Pul, 2013, 320 p.

Alors que les archives françaises et britanniques ont fait depuis longtemps l’objet de recensions et d’analyses, force est de constater que les archives romaines ont été pour leur part largement négligées par les chercheurs québécois. Pourtant, entre la Rome pontificale et le Québec, les liens ont été nombreux et féconds, et ces liens ont donné lieu à toute une série de correspondances, de rapports, d’images, de directives et de lettres pontificales qui représentent de riches matériaux pour mieux comprendre le développement de la société québécoise depuis les premiers temps de la colonie. Ce recueil collectif réunit des chercheurs de plusieurs disciplines (histoire, archivistique, théologie, littérature, sociologie) afin non seulement de souligner le potentiel des archives elles-mêmes et des ressources qui sont désormais disponibles aux chercheurs, mais aussi d’offrir quelques coups de sonde qui permettent de mieux saisir l’inscription du Québec dans une trame qui a eu, pendant longtemps, la Ville Sainte pour un de ses centres. Il vise à contribuer à l’édification d’une « histoire connectée », laquelle enseigne que les sociétés occidentales n’ont souvent pas attendu le mot pour participer à la mondialisation culturelle et intellectuelle. Avec des contributions de Michel Bock (Université d’Ottawa), Luca Codignola (Cnr, Rome), Dominique Deslandres (Université de Montréal), Gérard Fabre (Cnrs, Paris), Yves Frenette (Université d’Ottawa), Fernand Harvey (Inrs, Québec), Ollivier Hubert (Université de Montréal), Pierre Hurtubise (Université Saint-Paul), Simon Jolivet (Université d’Ottawa), Phyllis E. LeBlanc (Université de Moncton), Martin Pâquet (Université Laval), Roberto Perin (Université York), Laura Pettinaroli (Institut catholique de Paris), Giovanni Pizzorusso (Université Gabriele D’Annunzio), Jules Racine (Université Laval), Amalia Renosto (Délégation du Québec à Rome), Gilles Routhier (Université Laval), Matteo Sanfilippo (Université), Jean-Philippe Warren (Université Concordia).

Par Louis Rousseau

Shereen El Feki
Sex and the Citadel. Intimate life in a changing Arab world

Londres, Chatto & Windus, 2013, 296 p.

L’ouvrage de Shereen El Feki (elle-même médecin en même temps que journaliste à The Economist, ayant occupé des responsabilités internationales pour la lutte contre le Sida) constitue un tour d’horizon informé des débats actuels sur la sexualité dans le monde arabe, posés dans leurs propres termes, en essayant – tâche délicate – d’échapper aux agendas internationaux en la matière. À mi-chemin entre le journalisme et l’étude académique, elle réussit à tenir un discours de défense d’une révolution sexuelle raisonnée, non dans une logique eurocentrée de diffusion d’une vision à la Wilhelm Reich, mais par le réinvestissement d’un patrimoine islamique de largeur d’esprit et d’érotisme populaire et savant.

C’est non seulement le cadre normatif religieux des débats sur la sexualité qui est intéressant ici, mais également les questions connexes de la géopolitique et de la temporalité des moeurs sexuelles – qu’une analyse socio-économique aurait sans doute éclairées. Elle cherche en particulier à sortir les débats sur la sexualité de l’enchâssement qui est le leur dans le monde arabe, depuis le xixe siècle, en lien avec les priorités changeantes des sociétés occidentales. Elle place par conséquent de grands espoirs dans les révolutions arabes de 2011, vues à juste titre comme un moment de retour de revendications articulées autour de l’idée de souveraineté et de réappropriation des questions de société.

Achevé fin 2012, l’ouvrage peut de ce point de vue sembler déjà politiquement daté ; mais Shereen El Feki rappelle que les évolutions des sexualités obéissent à une temporalité propre, souvent très lente, avec ponctuellement de puissantes accélérations. Les espoirs d’émancipation sexuelle qui étaient présents à Tahrir se sont très vite évanouis, mais les changements qu’elle observe s’inscrivent dans une longue durée dépassant les aléas de l’histoire politique arabe.

Pour l’auteure, qui se présente à de multiples reprises comme une musulmane croyante et pratiquante, l’émancipation sexuelle doit s’inspirer de la tradition islamique, pour éviter l’accusation d’instrumentalisation de la question au service de l’Occident. L’espoir d’un libéralisme sexuel, sortant d’une instrumentalisation du couple hétéronormatif au service de la reproduction, est cependant fragile. Dans l’ouvrage, cela dépend d’abord de la fin de la captation de la normativité religieuse par des courants islamiques conservateurs, héritiers du réformisme moralisateur né dans le monde arabe en réaction au victorianisme (thème qu’elle explore au chapitre 1). C’est aussi la rupture avec une religiosité importée, celle des pays du Golfe.
Dans ces derniers États, elle décrit pourtant des dynamiques de sexualité complexes, liées au niveau de vie et donc aux attentes des familles vis-à-vis du mariage. Celui-ci (analysé au chapitre 2) est vécu comme une condition d’accès à la sexualité, condition d’abord économique dans des États extrêmement inégalitaires. La description qu’elle fait de la préparation des fêtes de mariage dans les pays du Golfe, affichant un luxe insolent à un coût prohibitif, illustre de façon stupéfiante une idée qui court à travers son livre. Au nom de normes islamiques, et parfois malgré elles, la sexualité est une affaire hautement socialisée, en dépit des tabous qui l’entourent ; et cette socialisation a un coût, directement économique, qui explique les conditions très sélectives mises à l’accès au mariage, et les stratégies de contournement de celle-ci. L’ordre conjugal apparaît cependant précaire et paradoxal en raison, d’un côté, de la polygamie et de la rapidité du divorce pour l’époux, de l’autre, de l’inacceptabilité sociale du divorce et, par inclusion, de la figure « tentatrice » de la femme divorcée. Il en résulte un ordre social sexualisé, et par là invisible, dans lequel la satisfaction de l’époux devient un objectif de survie affective et économique du ménage, et l’origine de stratégies vestimentaires, thérapeutiques et professionnelles complexes et incertaines.

À partir de là, Shereen El Feki dévide l’écheveau de multiples débats sur la sexualité. Ceux-ci, abordés le plus souvent en termes de licéité des pratiques, constituent un catalogue de questions qui ont tout des problèmes sociaux – y compris la publicité. Elle analyse, notamment au chapitre 6 à l’égard des personnes classées comme Lgbtq (lesbiennes, gays, bisexuels et bisexuelles, trans et queers – catégorisations qui semblent encore trop rigides à ses interlocuteurs), les arrangements et mobilisations des personnes qui se retrouvent marginalisées en raison de leur sexualité ; et l’attitude modulaire des pouvoirs publics, entre une tolérance nourrie de l’idée qu’il ne s’agit pas de questions de police, et des phases de violence répressive, mue notamment par le contexte politico-religieux.

L’analyse de ces questions comme problèmes sociaux est souvent éclairante, illustrée de vignettes personnalisées et percutantes. Mais, outre que l’auteure concentre sa réflexion sur l’Égypte (et de façon limitée, le Maroc, la Tunisie, le Liban et les Émirats Arabes Unis), elle fait l’économie d’une analyse structurelle. C’est pourtant précisément là que Nadine, une activiste libanaise qui refuse de se définir même comme lesbienne ou queer, situe les problèmes (p. 250). Dans son cas, il s’agit de la conjonction d’une société libanaise violemment inégalitaire et du confessionnalisme, qui signifie que ce n’est pas une unique norme dominante (disons l’islam pour faire bref), mais les normes de chacune des confessions institutionnelles qui jouent sur la législation. Le livre est néanmoins une lecture rafraîchissante, qui tranche avec des volontés hexagonales de camper l’islam comme une religion monobloc et parfaitement répressive en matière sexuelle.

Par Philippe Bourmaud

Bernard Heyberger, Rémy Madinier (dir.)
L’islam des marges
Mission chrétienne et espaces périphériques du monde musulman XVIe-XXe siècles

Paris, Ismm – Karthala, 2011, 288 p.

L’ouvrage, publié sous la direction de Bernard Heyberger et Rémy Madinier, propose de rendre compte de l’histoire d’un échec, celui de la mission auprès des musulmans. Avec la reprise de l’élan missionnaire au xvie, réactivé au xixe siècle, des missionnaires chrétiens partent à la conquête évangélique du monde. Au xixe, les terres d’islam semblent alors des eldorados enfin accessibles grâce au nouvel ordre imposé par l’impérialisme européen. Pourtant, la désillusion est à la hauteur des espérances et les conversions ne sont toujours pas légion.

Face à ce constat, l’énergie des missionnaires continue de se concentrer sur les chrétientés autochtones et se réoriente vers « l’islam des marges ». En effet, certains groupes de musulmans, perçus comme superficiellement islamisés et repérés comme mieux disposés à recevoir le message évangélique, voient converger vers eux les efforts missionnaires. Le malentendu repose, entre autres, sur une approche livresque de l’islam qui génère une confusion entre islamisation superficielle et islamisation différente.

Le livre propose neuf études de cas qui couvrent un espace du Maghreb à l’Indonésie et une temporalité qui court du xvie au xxe siècle : Hughes Didier, « Les jésuites auprès d’Akbar : une mission chrétienne atypique auprès d’un souverain musulman atypique » ; Bernard Heyberger, « Peuples « sans loi, sans foi, ni prêtres », druzes et nusayrîs de Syrie découverts par les missionnaires catholiques (xviie-xviiie siècles) » ; Chantal Verdeil, « Une « révolution sociale dans la montagne » : la conversion des Alaouites par les jésuites dans les années 1930 » ; Karima Dirèche, « Coloniser et évangéliser en Kabylie : les dessous d’un mythe » ; Hans-Lukas Kieser, « Marges de manœuvre missionnaires : les stratégies américaines dans le monde ottoman » ; Florence Hellot, « Tentatives missionnaires auprès des musulmans de Perse et dans les montagnes kurdes (sur les marges de l’Empire ottoman et de la Perse, avant la Première Guerre mondiale) ; Mojan Membrado, « L’impact des missionnaires chrétiens du début du xxe siècle sur l’étude d’une communauté initiatique kurde : les « Fidèles de la Vérité » (Ahl-e Haqq) » ; Rémy Madinier, « Espoirs abangan : les missionnaires chrétiens et l’islam javanais, 1808-1945 » ; Alexandra Loumpet-Galitzine, « “islam bâtard” ou religion refuge ? La mission protestante française face à l’islam bamoun (Ouest-Cameroun) ».

In fine, ces missions des « espaces périphériques du monde musulman » ne s’avèrent pas plus porteuses d’espoir en termes de conversions.

Le lecteur pourra toujours s’interroger sur l’ambiguïté de la notion de périphérie du monde musulman proposée par cette sélection : dans quelle mesure l’Indonésie, l’Algérie, la Perse ou encore le monde ottoman entrent dans cette catégorie ? Cela n’enlève rien à l’intérêt des études de cas qui composent l’ensemble.

On ne saurait que recommander la lecture de certains articles qui développent les pistes que des travaux pionniers, non mentionnés dans l’introduction, avaient, en leur temps, déjà mis en évidence.

Par Oissila Saaïdia

Christophe Pons (dir.)
Jésus, moi et les autres
La construction collective d’une relation personnelle à Jésus dans les Églises évangéliques : Europe, Océanie, Maghreb

Paris, Cnrs Éditions, 2013, 275 p.

Nous le savons, la religion qui progresse le plus dans le monde est le christianisme dans ses variantes évangéliques. Dans cet ouvrage, sous la direction de Christophe Pons, il est question de conversions aux Églises évangéliques dans trois types de territoires : des sociétés où le christianisme est présent depuis des siècles, des sociétés de culture musulmane et des sociétés présentées comme « païennes » où le christianisme est en situation de concurrence avec les religions traditionnelles. Ce choix atteste que la mobilité religieuse n’est pas le fait d’une religion en particulier, mais repose sur le processus d’individuation qui touche toutes les sociétés à des degrés divers.

Un premier ensemble d’articles est constitué par des espaces insulaires : Y. Fer, « “J’ai vu la grand-mère avec Jésus”. Relation personnelle à Dieu et liens familiaux en milieu pentecôtiste polynésien », A. Fitzgibbon, « La reconquête de “soi”. Être pentecôtiste dans les communautés villageoises des îles Shetland » et C. Pons, « Hommes bons et hommes de tête. Les implantations différentielles des églises évangéliques aux Féroé et en Islande ». On retiendra de ces communications que le processus de conversion aux Églises évangéliques est attesté aussi bien dans les « sud » que dans les « nord » et qu’il ne s’inscrit pas toujours dans l’anonymat des espaces urbains. Un deuxième ensemble est constitué par les articles de K. Dirèche, « Jésus et Muhammad : des fois en dissonance ? Discours des convertis néo-évangéliques sur l’islam dans l’Algérie d’aujourd’hui » et de K. Boissevain, « Devenir chrétien évangélique en Tunisie. Quelques aspects d’une conversion en pays musulman à la veille de la révolution (2009 - 2010) ». Ces articles rappellent, si besoin était, que la mobilité religieuse existe dans les sociétés de cultures musulmanes. Un dernier groupe rassemble deux contributions qui portent sur des espaces insulaires en contexte de « paganisme », terme utilisé dans l’introduction qui mériterait d’être discuté. Il s’agit P. Lemonnier, « Arcs, flèches et orgue électrique. À propos de modernité et d’offensives évangéliques dans la vallée de Wonenara (Papouasie-Nouvelle-Guinée) » et P. Bonnemère, « À chacun sa Bible. Styles de prêche et rapport à Jésus dans la vallée de Wonenara (Papouasie-Nouvelle-Guinée) ». Les missions évangéliques ne connaissent pas de frontière : techniques et discours missionnaires s’adressent à tous les hommes. L’ouvrage se termine par un épilogue de V. Vaté, « “L’enfer, c’est les autres ?” Distance, relation à autrui et à Jésus des convertis au protestantisme évangélique » qui reprend les principaux thèmes en les problématisant à partir des exemples développés.

In fine, la mise en parallèle de ces études de cas laisse apparaître « de troublantes convergences, en particulier le même élan libérateur revendiqué par ce christianisme, et dans sa manière de se constituer dans un rapport d’opposition et de déconstruction de l’autre. » (4e de couverture).

Par Oissila Saaïdia

Chantal Verdeil (dir.)
Missions chrétiennes en terre d’islam
Moyen-Orient, Afrique du Nord (XVIIe-XXe siècles)
Anthologies de textes missionnaires

Turnhout, Brépols, 2013, 407 p.

L’ouvrage dirigé par Chantal Verdeil se présente comme une anthologie de textes missionnaires sur les « Missions chrétiennes en terre d’islam, Moyen-Orient, Afrique du Nord (xviie-xxe siècles) ». C’est pourquoi, il s’inscrit dans la collection d’anthologie missionnaire dirigée par Chantal Paisant. Comme le rappelle très justement C. Verdeil, « l’histoire des missions connaît depuis une trentaine d’années un profond renouvellement » (p. 5). L’introduction de l’ouvrage, bien documentée, retrace dans ses grandes lignes l’historiographie sur le sujet et résume les principales caractéristiques de la mission en terre d’islam. Les bornes chronologiques retenues, xviie-xxe siècles, rappellent, si besoin était, que la mission chrétienne dans le monde musulman est antérieure à la colonisation. Toutefois, la période coloniale a été une période d’expansion des missions chrétiennes dans le monde en général, dans les pays musulmans en particulier.

L’ouvrage s’intéresse aux missions présentes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Chaque espace a ses spécificités : de chrétientés autochtones il n’est plus question dans le nord de l’Afrique alors qu’elles restent attestées au Moyen-Orient ; la domination coloniale ne s’est pas imposée de la même façon au Maghreb et au Machrek, etc. Toutefois, les modalités de l’implantation missionnaire sont les mêmes à travers les œuvres scolaires, hospitalières et de bienfaisance, pour l’essentiel.

La place accordée aux textes missionnaires dans le livre varie d’un article à l’autre comme celle réservée à la présentation du contexte car certains auteurs ont privilégié les textes, d’autres l’analyse de la mission.
L’ensemble s’organise autour de sept communications : B. Heyberger, « Missions catholiques en Syrie à l’époque moderne », H.-L. Kieser, « Missionnaires américains en terre ottomane (Anatolie) », F. Hellot, « L’enseignement, enjeu des missions chrétiennes en Iran (xixe siècle et début du xxe siècle), C. Fredj, « Une mission impossible ? L’Église d’Afrique et la conversion des “indigènes” (1830-année 1920) », K. Summerer-Sanchez « L’action sanitaire et éducative en Palestine des missionnaires catholiques et anglicans (début du xxe siècle) », C. Chanel, « Femmes, missionnaires et suédoises en terre d’islam. Une mission protestante à Bizerte au début du xxe siècle » et C. Verdeil, « La mission jésuite auprès des Alaouites (Syrie) ».

L’ouvrage atteste de la vitalité de ce champ de l’histoire et de l’importance des sources de premières mains que constitue la littérature missionnaire.

Par Oissila Saaïdia

Anne-Laure Zwilling (dir.)
Lire et interpréter

Genève, Labor et fides, 2013, 320 p.

Cet ouvrage collectif fait le pari d’interroger les grandes expressions religieuses (hindouisme, bouddhisme, judaïsme, christianisme, islam) à partir des textes fondateurs auxquelles elles se réfèrent. Il prend pour postulat que par-delà la diversité apparente des formes et des contenus, tous ces textes comportent selon l’expression de Paul Ricœur une « identité narrative ». Il est donc possible de recourir aux sciences humaines et sociales pour analyser comment chaque courant religieux construit dans sa lecture des textes son rapport à l’histoire, règle leur transmission et leur réception. L’ensemble des contributions est rassemblé sous cinq entrées.

La première sous le titre « les textes fondateurs, place et statut » s’intéresse à l’hindouisme, à la Bible hébraïque, à la Septante et aux textes fondateurs de l’islam (sunna et hadith). La seconde se penche sur « l’interprétation et son histoire : canon, méthodes, pratiques » à partir d’études d’extraits puisés dans la Bible hébraïque, l’Ancien Testament chrétien, le Nouveau Testament et l’islam. La troisième recourt à des « Approches littéraires et philosophiques » pour les appliquer à la Bible et au Coran. La dernière donne des exemples des « Évolutions contemporaines » dans la relecture et l’interprétation de textes bouddhistes et chrétiens. L’approche comparatiste permet ainsi de dégager des traits communs mais aussi des différences et des évolutions dans la manière de se référer aux textes et de les lire. D’une lecture exigeante mais stimulante, l’ouvrage permet de dépasser ou de relativiser les interprétations classiques qui tendent à réserver au christianisme l’effort d’une lecture critique. Il montre comment dans chaque tradition religieuse dominent des postures face au texte et s’imposent des méthodes qui déterminent leur lecture et leur interprétation. Comme le suggère la dernière contribution, lire et interpréter, quels que soient les textes, c’est entrer dans un triangle dont les trois éléments sont l’exégèse (ou ce qui en tient lieu), le texte et le lecteur.

Par Claude Prudhomme