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Lyon, 12 et 13 mars, organisée par la fédération de recherche ISERL (institut supérieur d'étude des religions et de la laïcité) et le Labex COMOD de l'Université de Lyon : 1/ Présentation 2/ Bibliographie sélective et 3/ Programme détaillé.Linguistique missionnaire affiche 202503

1/ Présentation

Ces journées d’étude ont pour objectif d’analyser, par le biais d’une approche comparative (Afrique, Asie, Océanie, Amérique), les stratégies linguistiques mises en oeuvre par les missionnaires au cours des XIXe et XXe siècles. Cette période est en effet considérée comme un « lien entre la production linguistique de la période coloniale et le développement de la linguistique en tant que discipline autonome1 ».

La variété des sources conservées dans les archives – traductions de textes sacrés, répertoires d’hymnes, dessins et images, livres de prières et passages de la Bible, ainsi que des livrets de grammaire, abécédaires, cahiers d’exercices, dictionnaires – permet d’examiner l’impact des avancées techniques de l’imprimerie et des évolutions méthodologiques en linguistique sur l’activité des missionnaires. Il s’agit en effet de mettre en lumière l’importance des sources écrites pour comprendre les dynamiques historiques et culturelles qui ont influencé la mission au cours de cette période. Ainsi, en examinant des sources annexes et « préliminaires » relatives à l’élaboration de répertoires par les missionnaires au tournant du XXe siècle, plusieurs interrogations fondamentales émergent. Les défis liés à la rareté des ressources disponibles, à l’isolement des acteurs et à l’absence de formation adéquate sont accentués, en particulier dans des contextes de tradition orale. Ces derniers se trouvent confrontés à la nécessité de devoir « inventer », pour la première fois, un alphabet écrit. Le cadre pluridisciplinaire de ces journées favorise une réflexion sur les pratiques des missionnaires et leur impact sur la production linguistique. Il est également l’occasion, nous l’espérons, d’ouvrir vers de nouvelles pistes de recherche.

L’analyse des modèles linguistiques utilisés par les missionnaires, leur mise en oeuvre sur le terrain, ainsi que la fonction et l’engagement des communautés dans le processus de traduction, ne représente qu’une partie d’une recherche qui souhaite privilégier la genèse de ces oeuvres plutôt que leur aboutissement. Afin de mieux comprendre le contexte de la notion de « linguistique missionnaire2 », l’exploration des sources annexes peut révéler des éléments significatifs qui éclairent les dynamiques linguistiques au sein des missions. En effet, la correspondance et les Coutumiers des paroisses, des stations ou encore des séminaires constituent des documents importants où les missionnaires enregistrent les activités et les difficultés avec les langues locales et les cultures qu’ils ont rencontrées. En outre, les constitutions et les règles des ordres religieux mettent en lumière les objectifs et les méthodes adoptés dans le cadre de la mission.

La masse de documents produits par les religieux est restée longtemps négligée dans les archives, car elle était perçue comme de faible importance scientifique. L’une des critiques les plus courantes à l’égard de ces travaux concerne la méthode de traduction employée par les missionnaires. Ces derniers ont souvent été accusés d’analyser les langues locales à travers le prisme des catégories européennes, ce qui a engendré des inexactitudes dans leurs interprétations ou a pu altérer la fidélité des traductions. Cette vision eurocentrique a-t-elle contribué à une représentation biaisée des cultures étudiées ? Comment réévaluer ces documents à la lumière de nouvelles perspectives de recherche, afin de mieux appréhender la richesse et la diversité des savoirs qu’ils contiennent ? Quels sont les obstacles rencontrés par les missionnaires ? Quelques problèmes fondamentaux émergent de la correspondance des missionnaires ? Quels outils utilisent-ils pour la traduction des textes sacrés ? Quels sont les défis rencontrés lors de la transmission de leurs messages, notamment en ce qui concerne la fidélité au texte original et à l’adaptation culturelle ? Quelles sont les incidences de la traduction sur la compréhension des doctrines religieuses ?...

Laurick Zerbini, Directrice de l’ISERL, MCF-HDR histoire des arts d’Afrique subsaharienne, Université Lyon 2, LARHRA (UMR 5190)

Roberta Grossi, Chargée d’enseignement en histoire de l’Église moderne à l’Université Pontificale Grégorienne, Rome. Docteure en sciences politiques de l’Université La Sapienza, Rome.

1 María Alejandra Regúnaga, Otto Zwartjes (Eds.), « Continuidades y rupturas en la lingüística misioneradel siglo XIX », Revista argentina de historiografía lingüística, vol. 12, 1, 2020.

2 La définition de la « linguistique missionnaire » n’a commencé à circuler dans les milieux scientifiques qu’au début des années 2000 ; O. Zwartjes, E. Hovdhaugen, Missionary Linguistics. Lingüística misionera. Selected papers from the First International Conference on Missionary Linguistics, Oslo, 13-16 March 2003, Amsterdam, John Benjamins publishing company, 2004.

2/ Bibliographie non exhaustive

  • ALEN GARABATO Carmen, BOYER Henri (dir.), « Regards sur le post-colonialisme linguistique », Mots, n° 106, 2015.
  • ALTHABEGOÏTY Galla, Étude des verbes en ngbugu, langue du groupe banda (oubanguien, Niger-Congo) de Centrafrique, thèse de doctorat en Sciences du langage – linguistique, Université d’Orléans, 2024.
  • AUROUX Sylvain, La révolution technologique de la grammatisation. Introduction à l’histoire des sciences du langage, Liège, Mardaga, 1994.
    - Histoire des idées linguistiques, 3 vols, Liège, Mardaga, 1989-2000.
  • BACHIR DIAGNE Souleymane, « Médiation culturelle, colonialisme et politique Colonial “Truchement”, traducteur postcolonial » in Wale Adebanwi (ed.), The Political Economy of Everyday Life in Africa, Beyond the Margins, Boydell & Brewer, 2018.
  • BORNAND Sandra, LEGUY Cécile, Anthropologie des pratiques langagières, Paris, Armand Colin, 2013.
  • BOYELDIEU Pascal, CLOAREC-HEISS France, « Les choix vocaliques de deux parlers banda : correspondances ou ressemblances régulières ? » in Robert Nicolaï (ed.), Leçon d’Afrique Filiations, ruptures et reconstitution de langues : un hommage à Gabriel Manessy, Louvain, Paris, Peeters (coll. « Afrique et langage »), 2001, p. 183‑220.
  • CORET Clelia, « Savoirs missionnaires, savoirs d’ethnologues. Production et circulation des premiers savoirs ethnologiques et linguistiques sur les Pokomo (Kenya) à la fin XIXe siècle et au début du XXe siècle », in J.-L. Georget, G. Hallair, B. Tschofen, Saisir le terrain ou l’invention des sciences empiriques en France et en Allemagne, Lille-Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, Collection Mondes germaniques, 2017, p. 113-130.
  • KHOUMA Seydou, « Le pulaar langue de culte musulman dans une communauté Fouladou au Sénégal », in Michel N. Ntedondjeu, Jean Paul Kouega, Recherches en langues et religions. Approches, descriptions et émergence de nouvelles identités en post-colonies, Pygmies, 2024, p. 227-248.
  • LENOBLE-BART Annie, TRUCHET Bernadette, ZORN Jean-François (dir.), Politiques éditoriales dans la mission (XIXe-XXe siècle), Paris, Karthala, 2022.
  • OUACHENE Nadia, OUASMI Lahcen (dir.), L’oralité, de la production à l’interprétation, Paris, L’Harmattan, 2019, p. 19-57.
  • PRUDHOMME Claude, Missions chrétiennes et colonisations XVIe-XXe siècle, Paris, Cerf, 2004. - « Quand le missionnaire se veut passeur : les allers et retours de la traduction », Histoireet Missions Chrétiennes, 2012, n° 22, p. 15-34.
  • RAISON Françoise, « L’échange inégal de la langue. La pénétration des techniques linguistiques dans une civilisation de l’oral (Imerina, début du XIXe siècle) », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 1977, n° 4, p. 639-669.
  • RAISON-JOURDE Françoise, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle. Invention d’une identité chrétienne et construction de l’État. Paris, Éditions Karthala, 1991, 844 p.
  • RAVONJIARISOA Alice Marie Linah, « La contribution des jésuites à la lexicographie malgache au XIXe siècle », in Dossou, Davy & Ratsimbazafy et alii (dir.), Les Jésuites dans l'histoire de Madagascar. Promouvoir la personne et la société, Antananarivo, éditions Ambozontany, 2022, p. 272-299.
  • - « Les manuscrits arabico-malgaches. Caractéristiques et contenus », Mondes et Cultures (Bulletin de l’Académie des Sciences d’Outre-mer), t. I, XXXIII, 2023, p. 548-569.
  • - Les dictionnaires bilingues malgaches des origines jusqu’à la fin du XIXe siècle : étude historique et métalexicographique, thèse de doctorat en Sciences du langage : linguistique et didactique des langues, Paris, INALCO, 2021.
  • REGUNAGA María Alejandra, ZWARTJES Otto (éds.), « Continuidades y rupturas en la lingüística misionera del siglo XIX / L’apprentissage et l’enseignement des langues en contextes missionnaire et colonial », Revista argentina de historiografía lingüística, vol. 12, n° 1, 2020.
  • ROGNON Frédéric, Maurice Leenhardt. Pour un "Destin commun" en Nouvelle-Calédonie, Lyon, Éditions Olivétan (coll. Figures protestantes), 2018.
  • - « Un article de Maurice Leenhardt. Relire, cent ans plus tard, les “notes sur la traduction du Nouveau Testament en langue primitive” », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses, n° 100, 2020, p. 121-136.
  • SALERNO Eva, Les Chinois catholiques de Paris et Milan, Paris, Téraèdre, 2021.
  • SAVATOVSKY Dan, ALBANO Mariangelo, LY PHAM Thi Kieu, SPAËTH Valérie (eds.), Language Learning and Teaching in Missionary and Colonial Contexts. L’apprentissage et l’enseignement des langues en contextes missionnaire et colonial, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2023.
  • SUEIRO JUSTEL Joaquín, PEREZ RODRIGUEZ María Rosa (Coordinadores), « Monográfico : Dimensión lingüística de la colonización : la lingüística misionero-colonial », Moenia, vol. 27, 2021.
  • VAN HAL Toon, PEETERMANS Andy, VON LOON Zanna, « Presentation of the RELiCTA database: Repertory of early modern linguistic and catechetical tools of America, Asia and Africa », Beitrage zur Geschichte der Sprachwissenschaft, 28 (2) 2019, p. 293-306.
  • VIDAL Gilles, « A Pacific Theology of celebration », in Jione Havea (ed.), Theologies from the Pacific, Palgrave Macmillan, 2021, p. 77-88.
    - « L’Ancien Testament et ses lectures en contexte dans le Pacifique Sud. Petit parcours missiologique du XIXe s. à nos jours » in Guilhen Antier, Dany Nocquet (éd.), Nouveaux regards sur l’Ancien Testament. Approches interdisciplinaires de la Bible hébraïque, Lyon, Olivétan, coll. ThéologieS, 2023, p. 107-130.
    - « Maurice Leenhardt, explorateur de l’altérité », Revue d’histoire du protestantisme, n° 9, 2024, p. 111-125.
  • ZWARTJES Otto, HOVDHAUGEN Even, Missionary Linguistics. Lingüística misionera. Selected papers from the First International Conference on Missionary Linguistics, Oslo, 13-16 March 2003, John Benjamins publishing company, 2004.
  • ZWARTJES Otto, Missionary Grammars and Dictionaries of Chinese. The contribution of seventeenth century Spanish Dominicans, Amsterdam & Philadelphia, John Benjamins, (Studies in the History of the Language Sciences, 131), 2024.

3/ Programme détaillé

 MERCREDI 12 MARS 

Salle 410, Maison Internationale des Langues et des Cultures (MILC), 35 rue Raulin, 69007 Lyon

10h - Introduction, Laurick ZERBINI (MCF-HDR Histoire des arts africains, Université Lumière Lyon 2)

10h15 - BARBARA BAUDRY (Responsable des archives Jésuites, Vanves), État des sources et stratégies linguistiques des jésuites au Tchad et au Cameroun (1946-1976)

L’étude se décomposera en deux parties qui recoupent à la fois deux périodes historiques (coloniale et post-coloniale) et deux stratégies différentes. Dans la première, la linguistique est tout d’abord un obstacle, puis un outil essentiel pour l’évangélisation du Tchad. Dans la seconde partie, je montrerai comment cet outil se mue en science avec des jésuites formés et professionnels de cette question qui mettent en place, entre autres, un centre d’études linguistiques au Tchad (en lien étroit avec les sciences ethnologiques et anthropologiques) et je parlerai rapidement des enseignements en langues locales, mis en place au collège Libermann au Cameroun. Tout cela à partir de l’analyse des sources archivistiques que je conserve à Vanves (nature, volume, contenu) et de l’impact des contextes historiques, sociologiques, géographiques et religieux.

10h45 – ROBERTA GROSSI (Archiviste et historienne aux archives historiques de la Société des Missions Africaines), « S’appliquer soigneusement à l’étude de la langue indigène ». Les missionnaires SMA face aux défis de la traduction, XIXe-XXe siècle

L’intervention que nous présentons est le fruit d’une recherche menée sur différents répertoires documentaires en vue d’explorer la genèse du travail sur les langues africaines accompli par les premiers missionnaires SMA en Afrique. L’examen des phases marquantes de ce parcours laborieux a mis en évidence non seulement les difficultés pratiques rencontrées par les religieux, mais aussi le contexte, les règles, les discussions, les méthodes appliquées et les résultats obtenus. Cette étude se veut donc de nous donner une vue d’ensemble organique sur les travaux linguistiques des missionnaires SMA.

11h15 – Pause-café

11h30 - MELVINA ARAUJO (Professeur associée, Université fédérale de Sao Paulo, Brésil), Se rapprocher de l’autre : la place du langage dans les pratiques missionnaires

À partir de deux contextes, dans lesquels les missionnaires de la Consolata ont établi leurs missions entre les Kikuyus, au Kenya, et les Macuxis, au Brésil, dans lesquels l’apprentissage des langues de ces peuples était, dans le premier cas, une condition sine qua non de la communication et, dans le second, une stratégie politique de renforcement identitaire, je me propose d’analyser les motivations et les stratégies qu’ils ont utilisées pour inscrire les langues de chacun de ces peuples.

12h - Discussion

12h30-14h - Déjeuner

14h15 - PIERRE BOUTIN (Linguiste, membre de la SMA), Les rapports complexes entretenus par les missions chrétiennes avec les langues africaines

Un reproche fréquent lancé par les élites africaines aux Missions catholiques, surtout françaises, est d’avoir fait, dans leur mission éducative la promotion presque exclusive du français. Cette assertion doit être fortement corrigée. Les lois antireligieuses du début XXe ont dégagé le personnel missionnaire de l’enseignement scolaire et lui ont permis de se tourner vers l’apostolat des adultes donné en langue première. Ils ont dégagé le temps d’apprendre, puis de décrire les langues locales. Cette pratique leur était requise par les directoires de leurs instituts et par les instructions des Préfets Apostoliques. Si l’on constate un niveau acceptable de pratique des langues, le manque de préparation théorique et de modèles de descriptions morphologiques a entaché de nombreux « essais de grammaire… », de rubriques inutiles, voire erronées.

14h45 - GILLES VIDAL (MCF en histoire du christianisme à l’époque contemporaine, Université de Montpellier Paul-Valéry), Traduire et réviser la Bible, nommer et « dire » Dieu : Grand OEuvre des missionnaires et théologiens protestants ? L’exemple du Pacifique Sud (fin XVIIIe-XXe siècle)

Traduire la Bible le plus rapidement possible dans les langues des peuples autochtones passe pour l’une des marques caractéristiques des missions protestantes. Si les débuts de ces entreprises sont marqués par un certain empirisme digne de l’alchimie, l’acte de traduction ainsi que la diffusion de ses résultats se professionnalise progressivement. Au-delà des enjeux strictement linguistiques liés à ce phénomène se posent, entre autres : les questions du caractère traduisible – ou pas – de conceptions théologiques et cosmogoniques parfois contradictoires ; de l’impact culturel de l’écrit, mais aussi de celui de l’oralité, à travers la prédication ou l’étude collective des Écritures au sein des populations missionnées ; ainsi que la question du rapport à la tradition dans l’élaboration d’une théologie post-missionnaire, contextuelle, à la recherche de nouvelles traductions culturelles des Écritures et de leur interprétation. Cette communication proposera divers exemples tirés de l’histoire contemporaine de la christianisation dans le Pacifique Sud.

 15h15 - FREDERIC ROGNON (professeur de philosophie des religions, Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg), Traduire le Nouveau Testament en langue kanak : Maurice Leenhardt

Le missionnaire protestant français Maurice Leenhardt (1878-1954) a posé les fondements de son apostolat en Nouvelle-Calédonie (1902-1926) sur la traduction de la Bible en langue kanak. Pour ce faire, il a mis au point une stratégie originale, qui cherche à privilégier des vocables autochtones pour exprimer des concepts exogènes à la culture locale, en tablant sur une conception dynamique du système linguistique, et sur la représentation d’un processus langagier parallèle à l’évolution religieuse. En nous appuyant sur plusieurs exemples, nous évaluerons les enjeux d’une telle orientation traductologique.

16h45 – Discussion et pause-café

17h15 - EVA SALERNO (Maître de conférences en anthropologie, ICP), Parcours missionnaire, parcours religieux : Taïwan, un espace singulier de la pratique du catholicisme

Au cours de cette intervention, nous étudierons le parcours missionnaire du Père François Boschet (1899-1975) des Missions Étrangères de Paris (MEP), pionnier de la mission catholique dans l’ouest de l’île de Taïwan dans la seconde moitié du XXe siècle. Sa trajectoire sera analysée à travers l’étude de ses propres carnets manuscrits conservés à l’IRFA (Institut de recherche France-Asie). Cette analyse sera complétée par une étude ethnographique de certaines spécificités de la pratique du catholicisme au sein des paroisses taïwanaises contemporaines.

17h45 - Discussion

JEUDI 13 MARS

Salle 308, Maison Internationale des Langues et des Cultures (MILC), 35 rue Raulin, 69007 Lyon

10h - PHILIPPE MARTIN (Professeur d’histoire moderne, Université Lumière Lyon 2), Comment confesser les populations d’Amérique du Nord

En arrivant en Amérique, les jésuites ont fait un énorme effort pour apprendre les langues locales. Ils ont vécu avec les populations (acceptant même d’hiverner avec des nomades), employé des traducteurs, rédigé des dictionnaires, forgé des grammaires, écrit des livres… Mais comment cette compétence linguistique peut-elle être mise au service de la confession ? En regardant l’expérience missionnaire entre le XVIIe et le XIXe siècle, nous pourrons envisager deux axes pour aborder cette question. Un contact direct avec les pénitents, ce qui va ancrer en un fort sentiment de culpabilité, ou recourir à des méthodes au-delà des mots.

10h30 - LINAH RAVONJIARISOA (Maître de conférences en études malgaches, Inalco), La grammatisation de la langue malgache : le cas du premier dictionnaire bilingue des missionnaires protestants de la LMS, David Johns, Joseph John Freeman, A Dictionary of the Malagasy Language : English-Malagasy and Malagasy-English, Antananarivo, LMS, 1835, 421 p. & 307 p.

Le début du XIXe siècle à Madagascar, en particulier entre 1820 et 1835, est marqué par une profonde transformation due aux activités des missionnaires de la London Missionary Society (LMS). Ces missionnaires ont non seulement oeuvré à l’évangélisation, mais ont aussi contribué à la mise en place de nouvelles structures éducatives et linguistiques. Parmi leurs réalisations figure, en 1823, l’adoption, sous la supervision et l’accord du roi Radama 1er (1810-1828), de l’alphabet latin, remplaçant l’alphabet arabe, pour transcrire la langue malgache. Par la suite, la confection du premier dictionnaire bilingue A Dictionary of the Malagasy Language : English-Malagasy and Malagasy-English, par David Johns et Joseph John Freeman publié en 1835, représente un jalon crucial dans l’histoire de la langue malgache écrite. En parallèle au développement des écoles et à la production de manuels inspirés du modèle britannique, ce dictionnaire a permis d’établir les premières règles grammaticales et orthographiques de la langue, jouant ainsi un rôle fondamental dans sa grammatisation. Ces travaux fondateurs des missionnaires illustrent une synthèse des efforts linguistiques et culturels ayant permis de poser les bases de la langue malgache écrite moderne. S’appuyant sur les recherches de nos prédécesseurs L. Munthe (1969), O. Ch. Dahl (1966), G. Campbell (2012), V. H. Belrose (2001) et F. Raison-Jourde (1977), et en réévaluant les sources manuscrites des missionnaires, notamment leurs correspondances entre 1820 et 1835 conservées à la SOAS et à la British Library à Londres, ainsi qu’aux Archives Nationales à Kew, aux Archives Nationales de Madagascar, et aux archives protestantes et catholiques d’Antananarivo, cette communication s’organise en trois parties. D’abord, une présentation du contexte historique et sociopolitique sous le règne de Radama Ier, en mettant l’accent sur sa politique d’ouverture, ses relations avec la Grande-Bretagne, et l’arrivée des missionnaires britanniques de la LMS, qui ont facilité l’adoption de l’alphabet latin et la formation de l’intelligentsia malgache. Ensuite, une étude de la fabrique de la lexicographie missionnaire et l’émergence de la lexicographie malgache moderne, en analysant la genèse et les caractéristiques du dictionnaire de Freeman et Johns. Enfin, l’étude mettra en lumière le rôle des missionnaires et des Malgaches dans l’indigénisation du « Verbe » et des savoirs occidentaux. Le croisement des cultures malgache et britannique a constitué un véritable laboratoire linguistique et culturel, servant à la fois de puissant outil pour la mission des missionnaires et de moyen pour les Malgaches de s’approprier des savoirs occidentaux tout en revitalisant leur propre culture.

11h - Pause-café

11h30 - SEYDOU KHOUMA (Enseignant-chercheur à la FASTEF), Le Pulaar, langue de culte dans la communauté des Fedde maccube alla (Serviteurs de dieu)

L’usage du Pulaar dans le religieux, au sud du Sénégal, est soumis à l’influence de plusieurs facteurs identitaire, religieux et culturel. Au sein de la communauté des Fedde maccube Alla, localisée au Fouladou du Sénégal, le « messager de Dieu » célèbre les cultes et adapte le discours coranique dans la langue de sa communauté. Au-delà des cultes, le « messie » a inventé un alphabet : le Jam-Jam-padaar afin de transcrire le message qu’il aurait reçu.

12h - Discussion

12h30 - Déjeuner

14h15 - GALLA ALTHABEGOÏTY (Ingénieure d’Étude, Laboratoire Dynamique du Langage - UMR 5596) & ANICET SENGANAMBI (Linguiste et membre de la SMA), Évolution de la reconnaissance de l’implication des locuteurs et locutrices en description des langues : un aperçu à travers l’étude des publications sur les langues banda.

Dans cette présentation, nous montrerons ce que représente le travail d’un locuteur qui collabore avec un linguiste et se basant sur notre expérience de collaboration pour la description de la langue ngbugu (banda, oubanguien, RCA), Galla Althabégoïty comme linguiste, Anicet Ossibouyen Senganambi comme locuteur de ngbugu. Nous observerons ensuite l’évolution de la reconnaissance accordée aux locuteurs dans les travaux des linguistes, missionnaires ou non, ayant travaillé sur la même langue ou des langues banda apparentées ((Tisserant 1930 ; Tisserant 1931 ; Cloarec-Heiss 1986 ; Théret - Kieschke 1998 ; Boyeldieu et Cloarec-Heiss 2001 ; Touguele 2008 ; Senganambi et Dangoula 2018 ; Longbo et al. 2020 ; Althabégoïty 2024).

14h45 - CLAUDE PRUDHOMME (Professeur émérite en histoire contemporaine, Université Lumière Lyon 2), Traduire, c’est trahir. Et c’est tant mieux !

L’expérience de la traduction des textes fondateurs est au coeur de l’histoire de la diffusion du christianisme. La Bible a été fixée en hébreu et en grec, puis en latin, et progressivement traduite dans des dizaines de langues. Le passage d’une version source à une version écrite dans la langue des destinataires est un objectif prioritaire du missionnaire. Dans cette opération décisive, les travaux ont abondamment démontré l’impossibilité de transmettre à l’identique la lettre du texte source, hébraïque ou grec. Faut-il pour autant s’en désoler, redouter le risque d’une hétérodoxie ou une perte de contenu ? Le propos sera de montrer au contraire que l’infidélité (la trahison) apparente est la condition nécessaire pour garantir la possibilité de nouvelles lectures, interdire une interprétation définitive et figée, assumer un pluralisme à l’échelle du monde.

15h10-16h30 - Discussion