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Suppressions notoires

La version B, plus volumineuse, a procédé à un évident « toilettage » de A. L’étude critique pourrait en établir l’existence et l’ampleur. Ce qui sera présenté dans ce qui suit n’en constitue qu’une approche modeste. Souvent des passages entiers de A ont été barrés, masquant ainsi une volonté délibérée de non-reproduction dans la version définitive.

Ainsi B ne reprend pas la plupart des prières, fort belles et fort émouvantes, présentes en A. Elles avaient été notées au cours des visites nocturnes à l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem ou dans l’église de la Nativité à Bethléem. Pourquoi ? Cela allongeait peut-être démesurément le texte, déjà gonflé par ailleurs, excessivement sans doute, par la longue relation de la constitution de Venise. Surtout, ces prières ont pu être considérées comme l’expression d’une piété trop personnelle, non encadrée par les canons de la pure tradition. Il est dommage que B ne contienne pas les passages suivants de A :

  • L’oraison de saint Grégoire de Nazianze, f° 43 r.-v. ;
  • L’oraison à la Sainte Croix de Jésus-Christ, f° 49 v., 50 r.-v. ;
  • L’oraison de saint André, évêque de Jérusalem, qui doit se réciter sur le Saint-Sépulcre de Notre-Seigneur, f° 52 bis v. ;
  • Les distiques joliment composés sur la cruelle mise à mort des petits Innocents inhumés céans (Bethléem), f° 59 r.-v., 60 r.-v.

Bien des légendes et des « miracles », autres que ceux de la tradition évangélique, cités en A, ne sont pas repris en B. Cela est significatif d’une évolution de la part de frère Loupvent. C’est le cas du f° 85 de A, où il est question de la légende à l’origine de la funeste réputation du golfe de Satalie. Son horreur a sans doute interdit à Loupvent de la reprendre. Autre fait caractéristique : B ne reprend pas le f° 79 qui présente l’anecdote des salines de Chypre, anciennement des vignes devenues carrières de sel à la suite du miracle de saint Lazare. En A, frère Loupvent est près de l’événement. Ayant entendu cette belle et bonne légende, il s’est engagé, il le dit, à transcrire le soir ce qu’il a appris au cours de la journée. Elle figure, n’en doutons pas, sur ses « notes » à la page « Chypre ». Quand il compose A, il la recopie tout en se permettant une note qui témoigne d’un sourire rentré ; le merveilleux de l’instant s’éloigne et le légendaire, si vivant sur les lieux, perd de sa pertinence une fois revenu en Lorraine. Une dizaine d’années plus tard, quand arrive le moment de la relecture de ces notes, il estime à coup sûr que répéter cette légende, trop belle pour être vraie, n’est pas digne d’un livre qui se doit d’être sérieux, dût en souffrir le souvenir, plus soucieux d’émerveillement que de certitudes fondées. Le prieur de 1543 élimine cette légende, mais pour la remplacer par l’historique de l’île de Chypre, sa description, sa situation géographique, la richesse de son sol, ses ressources. Pour ce faire, il s’abrite derrière Pline, Strabon, Horace, Virgile. Attitude non équivoque qui privilégie, somme toute, de mauvais « païens », mais savants, plutôt qu’un bon Chrétien, fût-il Lazare, celui-là même que le Christ avait ressuscité, au centre d’un tissu légendaire en aucune façon crédible.