Par Dominique Avon, Rachid Benzine, Abdellatif Idrissi, Haoues Seniguer.

Dimanche 11 janvier 2015, le monde voit défiler plus de trois millions de manifestants en France, parmi lesquels une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement à Paris et des représentants religieux, notamment musulmans, juifs et chrétiens. A l’origine de ce mouvement exceptionnel, l’exécution d’une partie de l’équipe de rédaction de l’hebdomadaire Charlie-Hebdo, suivie de l’assassinat de policiers, puis de citoyens français de confession juive dans un commerce casher. La veille, 700 000 personnes ont participé à des marches silencieuses, pacifiques, dans les principales villes de France, en déployant de sobres pancartes : « Je suis Charlie », « Liberté », « Contre les fanatismes », « Contre le terrorisme », « Contre le racisme »…

9 ans plus tôt, la publication de caricatures de Muhammad par le journal danois Jyllands Posten, reprises totalement ou en partie par différentes publications, dont Charlie-Hebdo mais aussi des organes de presse du monde arabe majoritairement musulman (Al-Haq, Al-Anbat, Al-Liwa), suscitait une vague de manifestations. Pendant trois semaines, celles-ci s’étendirent du nord de l’Europe à l’Indonésie en passant par l’Afrique du Sud, provoquant plusieurs dizaines de morts. En Irak, deux mille manifestants chiites réclamèrent une fatwa autorisant l’assassinat des dessinateurs. A Londres, les membres sunnites du Hizb At-Tahrir déployèrent des banderoles appelant à couper la tête des « infidèles ». Au Yémen, des imams prêchèrent sur le caractère « licite » du meurtre de journalises ayant « copié les ennemis de l’islam ». A Amman, le rédacteur en chef de Shihane, auteur d’un article « Musulmans du monde, soyez raisonnables » (« Qu’est-ce qui porte plus préjudice à l’islam, ces caricatures ou bien les images d’une preneur d’otage qui égorge sa victime devant les caméras ») fut menacé, arrêté et contraint à demander publiquement pardon pour ses propos. Des chefs d’Etat et de gouvernement prirent position : G. W. Bush, A. Merkel ou J. Chirac condamnèrent les violences tout en appelant à cesser les « provocations ». Le Premier ministre de Norvège, où les caricatures avaient aussi été diffusées, demanda publiquement pardon. Et depuis la Turquie, où les dessins n’avaient pas été publiés, R. T. Erdogan adressa une lettre à ses homologues pour affirmer qu’aucune « liberté sur la terre ne peut être utilisée pour dégrader ou insulter des croyances, des valeurs ou des symboles sacrés ». En ce sens, un lobbying fut mené en vain par l’Organisation de la Conférence/Coopération Islamique (OCI), auprès du Conseil des droits de l’homme, pour empêcher la « diffamation des religions et des prophètes ».

Notre monde contemporain est schizophrène. Les Etats de l’Union européenne portent leurs contradictions : la France conserve une législation « anti-blasphème » en Alsace-Moselle, qui continue de vivre sous le régime concordataire en privilégiant les cultes catholique, protestant et juif ; en 2009, l’Irlande a adopté une législation anti-blasphème visant à pénaliser les atteintes à « toute religion » ; la Chambre des communes, en Angleterre, a hésité à étendre sa législation anti-blasphème qui ne bénéficiait qu’à l’anglicanisme, avant d’y renoncer complètement. Aux Etats-Unis, la satire du religieux est un tabou, comme le rappelle David Brooks, dans un éditorial du New York Times intitulé « Je ne suis pas Charlie Hebdo » : « sur un quelconque campus universitaire américain, [Charlie-Hebdo] n’aurait pas tenu 30 secondes. Les étudiants l’auraient accusé de tenir des discours haineux et l’administration l’aurait fait fermer ». Dans les Etats arabes majoritairement musulmans, le Koweït a adopté, en 2012, une législation punissant de mort toute personne blasphémant contre « Dieu, le Prophète et ses femmes » ; une petite minorité (4 députés chiites) s’y opposa... parce qu'elle voulait ajouter dans la liste les noms des « 12 Imams ». L’Arabie saoudite qui, mercredi, dénonça l’attaque contre Charlie-Hebdo, appliqua deux jours plus tard, près de la mosquée al-Jafali de Djeddah ouverte au public, le début de la peine prononcée contre le blogueur Raëf Badaoui : 1 000 coups de fouet, par série de 50 étalés sur 20 semaines, pour « insulte envers l’islam ».

Où sont ces chercheurs et ces journalistes qui, depuis des années, expliquent doctement que les seuls facteurs de violence sont d’origine sociale, économique, politique ou géopolitique ? Loin de nous l’idée de vouloir nier l’importance de ces éléments d’explication : le cynisme de chefs de multinationales exploitant de par le monde les ressources des matières premières ou de financiers qui jouent avec les cours de la bourse, la démission de responsables politiques transformés en VIP pour entreprises nationales d’armement qui apportent parfois leur soutien à des dictateurs, sans parler de certaines ONG qui détournent l’argent de l’aide adressée aux populations sinistrées… Loin de nous l’idée de réduire les religions, comme les idéologies non-religieuses, à la face violente qu’elles ont véhiculée dans l’histoire. Mais qui osera affirmer que des paroles et des actes mortifères n’ont jamais été commis au nom d’une foi, quelle qu’elle soit, à travers l’histoire ? Quel historien expliquerait les « guerres de religions » entre chrétiens, dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, par des causalités uniquement socio-économiques ? Quel est ce rempart de la pensée qui, dans les jours écoulés, a conduit à dire qu’il s’agissait de « fous », de « forme dévoyée de la religion », comme s’il existait des objets religieux purs détachés de ce qu’en ont fait et de ce qu’en font les hommes.

En 2006, le président du Conseil européen de la Fatwa et du Conseil mondial des ulémas, Y. Qardhawi, dénonçait « l’offense faite à l’islam » ; il condamne aujourd’hui le « sang versé des innocents », sans préciser lesquels, mais rappelle à temps et à contretemps la nécessité de rester fidèles aux thawâbit (« données de l’immuable ») qui comprennent les hudûd, incluant des châtiments corporels avec, dans certains cas et selon des procédures codifiées, condamnation à mort. En 2006 encore, H. Nasrallah, estimait que « s’il s’était trouvé un musulman pour exécuter la fatwa de l’imam Khomeiny contre le renégat Salman Rushdie, cette racaille qui insulte notre prophète [Muhammad] au Danemark, en Norvège et en France n’aurait pas osé le faire » ; près d’une décennie plus tard, alors qu’il a engagé ses combattants en Syrie, c’est aux groupes takfiristes sunnites que le secrétaire général du Hezbollah s’en prend : « A travers leurs actes immondes, violents et inhumains, ces groupes ont porté atteinte au Prophète et aux musulmans plus que ne l’ont fait leurs ennemis […], plus que les livres, les films et les caricatures ayant injurié le Prophète ».

Le religieux est un facteur d’explication du dire et du faire de nombre de nos contemporains, le contexte servant parfois d’adjuvent. La foi en Dieu(x) pousse à des élans de fraternité et de solidarité, à la création, comme à des élans de haine et de violence, à la destruction. Evidence à rappeler. Il ne faut pas prendre à la légère les dizaines de milliers de hashtags « Bien fait pour Charlie » ou « Je suis Kouachi », signés par des enfants de la République française. Il en va de même pour la prise d’otages, et la mort de certains d’entre eux, dans le commerce de la Porte de Vincennes. La diffusion d’un antijudaïsme en milieu confessant musulman est une réalité mise en évidence lors de la dernière foire musulmane de Bruxelles, à laquelle était invité le shaykh Koweitien Tariq al-Suwaidan, auteur d’un essai de 450 p. intitulé Les juifs : l’encyclopédie illustrée (2009). L’un des objectifs de cet ouvrage, accessible en ligne, consiste à « attester, au moyen de preuves et de témoignages, que la religion falsifiée des juifs, elle-même, les encourage à pratiquer la trahison et la félonie, et alimente leurs êtres pour faire d’eux un groupe particulier parmi les humains, et leur confère le droit d’exploiter les autres sur les plus hideux chemins de la duplicité. »

Le conflit israélo-palestinien est une gangrène dont le cadre explicatif ne peut se résumer à une guerre de (néo)colonisation/décolonisation. Il présente nombre d’analogies avec le conflit indo-pakistanais, déclenché lui aussi il y a près de soixante-dix ans. Il n’y a pas de pétrole derrière le « mur des Lamentations », sous « l’esplanade des Mosquées », à Jérusalem. Ce sont bien des références religieuses qui conduisent tel rabbin à dire « cette terre s’appelle la Judée et la Samarie, elle est juive », tel shaykh à répliquer « cette terre est arabe et musulmane », et l’un comme l’autre à pousser leurs fidèles à se battre –jusqu’à se massacrer- à Hébron, autour du tombeau de patriarches mythifiés. Ils ne manquent certes pas, ceux qui appellent régulièrement à la coexistence pacifique. Mais un ou deux Etats à référence religieuse ne feront jamais des sociétés démocratiques, à tout le moins la formule n’a pas existé dans le passé : il y a toujours eu des croyants un peu plus égaux que les autres dans de telles configurations, et c’est encore le cas en Israël, comme au Pakistan. L’étatisation d’une religion, quelle qu’elle soit, crée de jure et de facto de la discrimination.

Faut-il prendre le soin d’ajouter que ces manières d’être et de faire ne sont pas propres aux croyants monothéistes, comme le montrent la persécution actuelle de musulmans par des bouddhistes en Birmanie ou les appels à la haine lancés par des hindous en Inde ? Faut-il préciser que les agnostiques comme les athées ne sont pas mieux préservés, comme l’illustrent les manifestations antireligieuses sporadiques, après avoir été massives au tournant des années 1960-1970, conduites par le Parti communiste chinois ? La France, regardée du Caire à Katmandou en hommage aux victimes, n’est pas un îlot dans ce monde. Le racisme vient y nourrir les peurs pour provoquer des atteintes contre des lieux culte, notamment musulmans comme cela a été constaté ces derniers jours. La formule laïque, que les citoyens ont explorée depuis plus d’un siècle avec des moments de fortes tensions voire de conflits, a toujours reposé sur un équilibre fragile dépendant de la manière dont chacune et chacun s’en appropriait les termes.

Dimanche 11 janvier 2015, le monde voit défiler plus de trois millions de manifestants en France, parmi lesquels une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement à Paris et des représentants religieux, notamment musulmans, juifs et chrétiens. A l’origine de ce mouvement exceptionnel, l’exécution d’une partie de l’équipe de rédaction de l’hebdomadaire Charlie-Hebdo, suivie de l’assassinat de policiers, puis de citoyens français de confession juive dans un commerce casher. La veille, 700 000 personnes ont participé à des marches silencieuses, pacifiques, dans les principales villes de France, en déployant de sobres pancartes : « Je suis Charlie », « Liberté », « Contre les fanatismes », « Contre le terrorisme », « Contre le racisme »…
9 ans plus tôt, la publication de caricatures de Muhammad par le journal danois Jyllands Posten, reprises totalement ou en partie par différentes publications, dont Charlie-Hebdo mais aussi des organes de presse du monde arabe majoritairement musulman (Al-Haq, Al-Anbat, Al-Liwa), suscitait une vague de manifestations. Pendant trois semaines, celles-ci s’étendirent du nord de l’Europe à l’Indonésie en passant par l’Afrique du Sud, provoquant plusieurs dizaines de morts. En Irak, deux mille manifestants chiites réclamèrent une fatwa autorisant l’assassinat des dessinateurs. A Londres, les membres sunnites du Hizb At-Tahrir déployèrent des banderoles appelant à couper la tête des « infidèles ». Au Yémen, des imams prêchèrent sur le caractère « licite » du meurtre de journalises ayant « copié les ennemis de l’islam ». A Amman, le rédacteur en chef de Shihane, auteur d’un article « Musulmans du monde, soyez raisonnables » (« Qu’est-ce qui porte plus préjudice à l’islam, ces caricatures ou bien les images d’une preneur d’otage qui égorge sa victime devant les caméras ») fut menacé, arrêté et contraint à demander publiquement pardon pour ses propos. Des chefs d’Etat et de gouvernement prirent position : G. W. Bush, A. Merkel ou J. Chirac condamnèrent les violences tout en appelant à cesser les « provocations ». Le Premier ministre de Norvège, où les caricatures avaient aussi été diffusées, demanda publiquement pardon. Et depuis la Turquie, où les dessins n’avaient pas été publiés, R. T. Erdogan adressa une lettre à ses homologues pour affirmer qu’aucune « liberté sur la terre ne peut être utilisée pour dégrader ou insulter des croyances, des valeurs ou des symboles sacrés ». En ce sens, un lobbying fut mené en vain par l’Organisation de la Conférence/Coopération Islamique (OCI), auprès du Conseil des droits de l’homme, pour empêcher la « diffamation des religions et des prophètes ».

Notre monde contemporain est schizophrène. Les Etats de l’Union européenne portent leurs contradictions : la France conserve une législation « anti-blasphème » en Alsace-Moselle, qui continue de vivre sous le régime concordataire en privilégiant les cultes catholique, protestant et juif ; en 2009, l’Irlande a adopté une législation anti-blasphème visant à pénaliser les atteintes à « toute religion » ; la Chambre des communes, en Angleterre, a hésité à étendre sa législation anti-blasphème qui ne bénéficiait qu’à l’anglicanisme, avant d’y renoncer complètement. Aux Etats-Unis, la satire du religieux est un tabou, comme le rappelle David Brooks, dans un éditorial du New York Times intitulé « Je ne suis pas Charlie Hebdo » : « sur un quelconque campus universitaire américain, [Charlie-Hebdo] n’aurait pas tenu 30 secondes. Les étudiants l’auraient accusé de tenir des discours haineux et l’administration l’aurait fait fermer ». Dans les Etats arabes majoritairement musulmans, le Koweït a adopté, en 2012, une législation punissant de mort toute personne blasphémant contre « Dieu, le Prophète et ses femmes » ; une petite minorité (4 députés chiites) s’y opposa... parce qu'elle voulait ajouter dans la liste les noms des « 12 Imams ». L’Arabie saoudite qui, mercredi, dénonça l’attaque contre Charlie-Hebdo, appliqua deux jours plus tard, près de la mosquée al-Jafali de Djeddah ouverte au public, le début de la peine prononcée contre le blogueur Raëf Badaoui : 1 000 coups de fouet, par série de 50 étalés sur 20 semaines, pour « insulte envers l’islam ».
Où sont ces chercheurs et ces journalistes qui, depuis des années, expliquent doctement que les seuls facteurs de violence sont d’origine sociale, économique, politique ou géopolitique ? Loin de nous l’idée de vouloir nier l’importance de ces éléments d’explication : le cynisme de chefs de multinationales exploitant de par le monde les ressources des matières premières ou de financiers qui jouent avec les cours de la bourse, la démission de responsables politiques transformés en VIP pour entreprises nationales d’armement qui apportent parfois leur soutien à des dictateurs, sans parler de certaines ONG qui détournent l’argent de l’aide adressée aux populations sinistrées… Loin de nous l’idée de réduire les religions, comme les idéologies non-religieuses, à la face violente qu’elles ont véhiculée dans l’histoire. Mais qui osera affirmer que des paroles et des actes mortifères n’ont jamais été commis au nom d’une foi, quelle qu’elle soit, à travers l’histoire ? Quel historien expliquerait les « guerres de religions » entre chrétiens, dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, par des causalités uniquement socio-économiques ? Quel est ce rempart de la pensée qui, dans les jours écoulés, a conduit à dire qu’il s’agissait de « fous », de « forme dévoyée de la religion », comme s’il existait des objets religieux purs détachés de ce qu’en ont fait et de ce qu’en font les hommes.

En 2006, le président du Conseil européen de la Fatwa et du Conseil mondial des ulémas, Y. Qardhawi, dénonçait « l’offense faite à l’islam » ; il condamne aujourd’hui le « sang versé des innocents », sans préciser lesquels, mais rappelle à temps et à contretemps la nécessité de rester fidèles aux thawâbit (« données de l’immuable ») qui comprennent les hudûd, incluant des châtiments corporels avec, dans certains cas et selon des procédures codifiées, condamnation à mort. En 2006 encore, H. Nasrallah, estimait que « s’il s’était trouvé un musulman pour exécuter la fatwa de l’imam Khomeiny contre le renégat Salman Rushdie, cette racaille qui insulte notre prophète [Muhammad] au Danemark, en Norvège et en France n’aurait pas osé le faire » ; près d’une décennie plus tard, alors qu’il a engagé ses combattants en Syrie, c’est aux groupes takfiristes sunnites que le secrétaire général du Hezbollah s’en prend : « A travers leurs actes immondes, violents et inhumains, ces groupes ont porté atteinte au Prophète et aux musulmans plus que ne l’ont fait leurs ennemis […], plus que les livres, les films et les caricatures ayant injurié le Prophète ».

Le religieux est un facteur d’explication du dire et du faire de nombre de nos contemporains, le contexte servant parfois d’adjuvent. La foi en Dieu(x) pousse à des élans de fraternité et de solidarité, à la création, comme à des élans de haine et de violence, à la destruction. Evidence à rappeler. Il ne faut pas prendre à la légère les dizaines de milliers de hashtags « Bien fait pour Charlie » ou « Je suis Kouachi », signés par des enfants de la République française. Il en va de même pour la prise d’otages, et la mort de certains d’entre eux, dans le commerce de la Porte de Vincennes. La diffusion d’un antijudaïsme en milieu confessant musulman est une réalité mise en évidence lors de la dernière foire musulmane de Bruxelles, à laquelle était invité le shaykh Koweitien Tariq al-Suwaidan, auteur d’un essai de 450 p. intitulé Les juifs : l’encyclopédie illustrée (2009). L’un des objectifs de cet ouvrage, accessible en ligne, consiste à « attester, au moyen de preuves et de témoignages, que la religion falsifiée des juifs, elle-même, les encourage à pratiquer la trahison et la félonie, et alimente leurs êtres pour faire d’eux un groupe particulier parmi les humains, et leur confère le droit d’exploiter les autres sur les plus hideux chemins de la duplicité. »
Le conflit israélo-palestinien est une gangrène dont le cadre explicatif ne peut se résumer à une guerre de (néo)colonisation/décolonisation. Il présente nombre d’analogies avec le conflit indo-pakistanais, déclenché lui aussi il y a près de soixante-dix ans. Il n’y a pas de pétrole derrière le « mur des Lamentations », sous « l’esplanade des Mosquées », à Jérusalem. Ce sont bien des références religieuses qui conduisent tel rabbin à dire « cette terre s’appelle la Judée et la Samarie, elle est juive », tel shaykh à répliquer « cette terre est arabe et musulmane », et l’un comme l’autre à pousser leurs fidèles à se battre –jusqu’à se massacrer- à Hébron, autour du tombeau de patriarches mythifiés. Ils ne manquent certes pas, ceux qui appellent régulièrement à la coexistence pacifique. Mais un ou deux Etats à référence religieuse ne feront jamais des sociétés démocratiques, à tout le moins la formule n’a pas existé dans le passé : il y a toujours eu des croyants un peu plus égaux que les autres dans de telles configurations, et c’est encore le cas en Israël, comme au Pakistan. L’étatisation d’une religion, quelle qu’elle soit, crée de jure et de facto de la discrimination.

Faut-il prendre le soin d’ajouter que ces manières d’être et de faire ne sont pas propres aux croyants monothéistes, comme le montrent la persécution actuelle de musulmans par des bouddhistes en Birmanie ou les appels à la haine lancés par des hindous en Inde ? Faut-il préciser que les agnostiques comme les athées ne sont pas mieux préservés, comme l’illustrent les manifestations antireligieuses sporadiques, après avoir été massives au tournant des années 1960-1970, conduites par le Parti communiste chinois ? La France, regardée du Caire à Katmandou en hommage aux victimes, n’est pas un îlot dans ce monde. Le racisme vient y nourrir les peurs pour provoquer des atteintes contre des lieux culte, notamment musulmans comme cela a été constaté ces derniers jours. La formule laïque, que les citoyens ont explorée depuis plus d’un siècle avec des moments de fortes tensions voire de conflits, a toujours reposé sur un équilibre fragile dépendant de la manière dont chacune et chacun s’en appropriait les termes.

 

Dominique Avon, Université du Maine

Dominique Avon: Professeur d’Histoire à l’Université du Maine (Le Mans), Dominique Avon a enseigné en Egypte (1992-1994), au Liban (2004-2005) et aux Etats-Unis (2014). Ses recherches portent sur le fait religieux, les intellectuels et l’histoire des idées. Il coordonne le réseau DCIE (http://dcie.hypotheses.org/) et la communauté HEMED (Histoire euro-méditerranéenne : http://hemed.univ-lemans.fr/). Derniers ouvrages parus : Gamal Al-Bannâ. L’islam, la liberté, la laïcité et Le crime de la tribu des « il nous a été rapporté », Paris, L’Harmattan, 2013 (introduction, traduction et notes avec A. Elias). Sujet, fidèle, citoyen. Espace européen (XIe-XXIe siècles), Berne, Peter Lang, « Dynamiques citoyennes en Europe », 2014
 

 

Rachid Benzine, IEP d’Aix-en-Provence

Rachid Benzine, islamologue, est chargé de cours à l'IEP d'Aix en Provence et à la faculté protestante de Paris. Il enseigne à l'intitut théologique almowafaq (Rabat). Il est chercheur associé à l'observatoire du religieux (IEP Aix en Provence). Ses travaux portent sur le Coran et ses interprétations. Il a publié Les nouveaux penseurs de l'islam en 2004 (Albin Michel) et Le Coran expliqué aux jeunes en 2013 (Seuil)
 

 

Abdellatif Idrissi, Université Montpellier III

Abdellatif Idrissi est enseignant chercheur à l’université Paul-Valéry Montpellier III et à l’Académie de Langues Anciennes, dont il est vice-président ; il est chercheur associé au Centre Paul-Albert Février. Il s’intéresse à la fois aux croyances et aux mentalités de l’Arabie préislamique et des débuts de l’islam, aux textes fondateurs de l’islam et à ceux des débuts de l’historiographie (arabo-musulmane) médiévale. Dernier ouvrage paru : Pour une autre lecture du Coran. Les voix du verset, Paris, L’Harmattan, Bibliothèque de l’iReMMO, 2012
 

 

Haoues Seniguer, Sciences Po Lyon

Maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon
Chercheur au GREMMO (Groupe de Recherche et d’Études sur la Méditerranée et le Moyen Orient) et chercheur associé à l’ORCRA (Observatoire des Radicalismes et Conflits Religieux en Afrique), Université de Saint-Louis, Sénégal. Il est l’auteur du Petit précis d’islamisme : des hommes, des textes et des idées, Paris, L’Harmattan, Bibliothèque de l’IREMMO, 2013.